Pour 48 accidents mortels du travail liés à la chaleur officiellement recensés par Santé publique France depuis 2018, combien passent sous les radars ? « Le nombre de décès est clairement sous-estimé, admet Guillaume Boulanger, responsable de l’unité qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations au sein de l’agence. Les cas identifiés ne sont que la partie émergée de l’iceberg. »
Pour établir ce décompte annuel, l’agence est, en effet, entièrement dépendante des chiffres transmis par la direction générale du travail du ministère du travail, qui s’appuie elle-même sur les remontées de l’inspection médicale du travail (IMT). Après chaque accident mortel, quelle qu’en soit la cause, un inspecteur du travail est dépêché sur le terrain pour une enquête. C’est à ce moment-là que les agents peuvent noter un lien avec la chaleur, en fonction de leurs observations : températures élevées, symptômes médicaux chez la victime, manquements évidents à la sécurité de la part de l’employeur (tels que l’absence d’eau à proximité), etc.
Ces relevés sont transmis à l’IMT, qui les analyse et les complète pour déterminer quels accidents peuvent être attribués aux conditions climatiques. Sont pris en compte l’âge de la victime, la nature des tâches et leur pénibilité, le lieu de travail, son niveau d’ensoleillement et de température, ainsi que le moment de la journée et de la saison.
« Qu’un sentiment subjectif »
Or, selon Guillaume Boulanger, les inspecteurs du travail ne font pas toujours le lien entre la chaleur et les décès. Dans les fiches de signalement, que Le Monde a pu obtenir, plusieurs agents de contrôle avouent leurs limites : « Concernant le lien avec les fortes chaleurs, il reste en suspens mais ne peut en l’état être écarté, écrit l’un d’eux, saisi du décès d’une femme de ménage, en août 2020. Lorsque j’ai pu entrer dans le bungalow (…) l’atmosphère à l’intérieur était très confinée, mais cela n’est qu’un sentiment subjectif. » L’inspection du travail pâtit, de plus, de sous-effectifs chroniques, avec un taux de vacances de 18 % sur les 2 048 sections du territoire, en 2022, d’après la Cour des comptes.
Etonnamment, en 2021, alors que l’été avait été annoncé comme le plus chaud jamais constaté en Europe, aucune victime d’accident mortel du travail lié à la chaleur n’a été identifiée, contre huit à douze par an les autres années. Certains décès font aussi l’objet de débats au sein de l’inspection médicale du travail, et il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui amène à les inclure ou à les exclure du recensement. En juin 2019, un ébarbeur de 56 ans meurt d’un malaise dans une fonderie d’acier des Hauts-de-France. « En lien possible avec la chaleur liée au poste de travail, mais probablement pas avec la chaleur extérieure », note l’inspecteur. L’IMT décide de le retirer du décompte, en estimant que la chaleur de l’environnement de travail de la victime n’était pas inhabituelle, et notant que le département n’était alors pas visé par une alerte canicule.
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