mercredi, mai 8

L’Europe est à nouveau plongée dans de sombres temps. Menacée à ses frontières par le retour de la guerre, l’Union européenne est secouée par l’essor des idéologies autoritaires et la percée des partis identitaires. Confrontée à la crise migratoire, la vieille Europe oscille entre politique d’accueil destinée à remédier à la crise démographique et peur du prétendu « grand remplacement ». Longtemps incapable de parler d’une seule voix dans le conflit à Gaza, elle chancelle sur sa politique étrangère, fondée sur la promesse du « plus jamais ça ». La crise agricole percute de plein fouet l’une de ses principales bannières, le Pacte vert, transformé en bouc émissaire des mouvances réactionnaires. Et voici que les divisions apparaissent entre Européens sur la façon de soutenir l’Ukraine et d’envisager d’y envoyer des contingents militaires, un débat au sein duquel l’arène politique oppose « bellicistes » et « munichois ».

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C’est peu de dire que les élections européennes, qui se dérouleront du 6 au 9 juin, font craindre un bouleversement des alliances, voire un changement de majorité du Parlement. Comme si le sort de l’Europe se jouait au printemps. Conscient du péril et du moment, Le Grand Continent, revue attachée à donner de la hauteur aux débats européens, a choisi pour son premier sommet, qui s’est tenu du 18 au 20 décembre 2023, de s’installer au cœur du massif du Mont-Blanc. Sur les cimes, mais au bord de l’abîme. Car l’Europe vacille sur ses propres fondations. « Mais là où est le péril, croît aussi ce qui sauve », veulent espérer, avec le poète allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843), les intellectuels réunis par cette revue numérique lancée en 2019 par de jeunes normaliens. C’est en effet sur le toit de l’Europe que le jury du Grand Continent remet le prix littéraire du meilleur roman européen. Une récompense attribuée cette année à l’écrivain polonais Tomasz Rozycki pour Les Voleurs d’ampoules (Czarne, 2023), une fable à l’humour grinçant, récit fantasque d’un adolescent au cœur d’un immeuble de la banlieue de Varsovie où règnent la pénurie et la débrouillardise, qui rappelle sur un mode ironique les cités grises des films du cinéaste Krzysztof Kieslowski (1941-1996). « Une métaphore de l’Europe », avance le lauréat, car « ce n’est pas seulement le destin des Polonais que je raconte, mais celui de toute l’Europe post-soviétique ».

A Saint-Vincent, ville thermale de la vallée d’Aoste, en Italie, plus de cent trente politiques, industriels et intellectuels se sont ainsi retrouvés afin de « cristalliser un grand récit européen », notamment autour des transitions écologiques, géopolitiques et numériques en cours. Une envie affichée d’œuvrer à la « socialisation européenne » par les concepts, mais aussi en mobilisant les affects. « Il n’existait pas d’endroit pour qu’un PDG français, une première ministre estonienne et une écrivaine albanaise qui enseigne la philosophie à Londres échangent sur le destin européen », explique Gilles Gressani, directeur du Grand Continent.

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