- Les bébés préfèrent le lait avec de l’ail, une pièce a plus de probabilité de tomber sur la face visible, les lézards adorent les restes de pizza et ils préfèrent les quatre fromages, la recette parfait pour faire des châteaux de sable…
- Depuis 35 ans, les Ig-Nobel décernent des prix aux recherches improbables. Objectif : faire rire avant de faire réfléchir.
- Entretien croisé avec les chercheurs Roman Khonsari et Marjolaine Willems qui s’intéressent à la pousse des cheveux.
À Paris, le 9 décembre dernier, un amphithéâtre se remplit d’étudiants, de chercheurs et d’autres curieux. Très vite, les rires fusent : le chercheur Daniel Bonn présente les résultats de son étude sur la séparation de vers sobres et ivres par chromatographie. Le chargé de recherche au CNRS Marc-Antoine Fardin enchaîne en répondant à une question capitale : les chats sont-ils fait d’une matière liquide ou solide ? Ces deux chercheurs ont glané le Ig-Nobel (jeu de mot entre Ignoble et Nobel), inventé par Marc Abrahams en 1991, pour parodier la plus prestigieuse des récompenses scientifiques. Objectif : récompenser des découvertes scientifiques insolites qui « font d’abord rire les gens avant de les faire réfléchir »
. Sa revue Annals of Improbable Research signale des découvertes « qui ne peuvent pas, ou ne devraient pas, être reproduites »
.
Pour leur travail, les lauréats empochent un billet de 10.000 milliards de dollars du Zimbabwe. Pas de quoi pavoiser : ce billet n’a aucune valeur fiduciaire, le pays d’Afrique australe ayant décidé de le retirer de la circulation en 2009 après une forte inflation. À noter qu’en dix ans d’intervalle, le physicien Andre Geim a reçu à la fois l’Ig-Nobel sur la lévitation des grenouilles dans des champs magnétiques et le Nobel de physique pour ses travaux sur le graphène.
L’an dernier, le chirurgien crânio-facial à l’Hôpital Necker – Enfants Malades de Paris Roman Khonsari et la médecin généticienne à l’hôpital de Montpellier Marjolaine Willems ont décroché le prix d’anatomie pour leur étude sur le sens de la pousse des cheveux. Leur recherche démontre que sur la plupart des têtes humaines, les spirales capillaires se forment dans le sens des aiguilles d’une montre. Mais attention, elles se forment davantage dans le sens inverse dans l’hémisphère sud. « J’ai eu cette idée à la naissance de mes jumelles. Leurs cheveux s’enroulaient en tourbillon dans le même sens des aiguilles d’une montre. Je me suis mise à regarder les cheveux des enfants dans les parcs et à leur symétrie faciale. Nos résultats restaient décevants jusqu’au jour où j’ai appelé un collègue de l’université de Santiago du Chili »
, se remémore Marjolaine Willems.
La génétique détermine l’orientation des cheveux
Là, Roman Khonsari formule l’hypothèse que la forme et l’orientation des cheveux dépendent de la génétique. « Dans l’hémisphère nord, 4% des enfants présentent une chevelure qui s’enroule dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Au Chili, 30% des cheveux bouclent dans le sens inverse. Nous avons pensé que des contraintes locales pouvaient influencer le sens, mais aucune de nos hypothèses ne tenait la route »
, décrit Marjolaine Willems. La revue Science repère leur travail et quelques mois plus tard, le comité Ig-Nobel appelle Roman Khonsari : « Je réalisais une opération au bloc. J’étais extrêmement heureux : malgré le manque indéniable de pertinence de cette étude, je suis convaincu que le décryptage des formes dans la nature peut conduire à des découvertes importantes sur les mécanismes fondamentaux du développement. La forme d’un organe contient beaucoup d’informations sur notre origine et le processus de développement physique et génétique. »
Pour l’instant, les chercheurs ignorent l’origine de la formation des tourbillons des cheveux. Ils reconnaissent que leur étude n’a pas vocation à une future application concrète a priori : « La science reste fondamentale pour comprendre la mise en place de la structure chez l’être humain. Nous analysons le processus naturel du développement généralisé chez tous les mammifères. Peut-être que nous aideront d’autres chercheurs à soigner la calvitie et d’autres à anticiper la rotation des boucles »
, imagine Roman Khonsari.
Les deux chercheurs admettent passer pour des « farfelus »
. Ils déplorent une méconnaissance de ce prix en France : « Les étudiants de Roman étaient un peu blasés à devoir aller en maternité observer les cheveux. Les miens trouvaient ça plus rigolo. Le prix nous a fait gagner en sérieux, mais il n’a rien changé dans mes recherches »
, confie Marjolaine Willems. Roman Khonsari regrette que le prix ne l’ait pas aidé à obtenir davantage de fonds publics : « Nous souhaiterions continuer dans cette voie en recrutant d’autres témoins pour obtenir des éléments sur la symétrie faciale dans d’autres localités. Grâce au prix, nous avons gagné du réseau, fait de la vulgarisation et lancé des initiatives scientifiques à destination d’un public plus populaire. »









