Trois semaines après le passage dévastateur du cyclone Chido, la « loi spéciale » pour accélérer la reconstruction de l’île sera présentée en conseil des ministres mercredi, sans que rien ne soit prévu pour l’environnement, regrettent associations et experts.
En détruisant la forêt, le cyclone a pourtant créé un autre risque, celui de glissements de terrain à venir pendant la saison des pluies.
Sols, mangroves, coraux… c’est tout un écosystème essentiel à la nature et aux hommes qui a été mis à mal.
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Mayotte frappé par le puissant cyclone Chido
Les images de désolation après le passage du cyclone Chido sur l’île de Mayotte ont fait le tour du monde. Dans de très nombreux endroits, les photographies avant/après sont saisissantes : les habitations à flanc de colline autrefois surplombées par les forêts se retrouvent désormais privées de ce couvert végétal, si tant est qu’elles aient survécu aux vents dévastateurs. Car selon les données du gouvernement, l’habitat précaire où vivaient 100.000 personnes a été « entièrement détruit« .
Ce nouveau paysage n’est pas sans conséquence pour la biodiversité, mais aussi pour les hommes. Or, la « loi spéciale » présentée mercredi en Conseil des ministres et visant à reconstruire l’île en deux ans ne prévoit rien pour l’environnement. Une situation que regrettent chercheurs et associations, qui soulignent que l’avenir des habitants est lié à la bonne santé des écosystèmes de l’île – barrière naturelle contre les tempêtes, forêts anti-glissements de terrain, ressources halieutiques pour la pêche, etc. – déjà mis à mal par la pression exercée par la surpopulation.
Le risque, c’est le glissement de terrain et la coulée de boue sur les zones habitées.
Le risque, c’est le glissement de terrain et la coulée de boue sur les zones habitées.
Anthony Foucher, chercheur CEA au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement
La disparition d’une partie des forêts laisse les habitants à la merci de futures coulées de boue en cas de pluies intenses. « La végétation a complètement disparu, et sans elle, les sols vont s’éroder« , analyse Anthony Foucher, chercheur CEA au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, qui a travaillé sur la déforestation à Mayotte. « C’est la saison des pluies et désormais, quand il va pleuvoir, la végétation, qui n’est plus là, ne va plus retenir l’eau, et toute la matière, tous les sédiments, vont descendre vers les zones aval, poursuit-il. Le risque, c’est le glissement de terrain et la coulée de boue sur les zones habitées. »
Une catastrophe qui vient donc s’ajouter au drame, qui a fait « au moins 39 morts » selon les chiffres du gouvernement. Cette coulée de sédiments a d’autres conséquences sur la nature : ils peuvent se retrouver dans les retenues d’eau et la rendre turbide, voire impropre à la consommation. Un sujet crucial, alors que la situation de l’île en termes d’accès à l’eau potable était déjà critique avant le passage du cyclone. « Ce sédiment chargé en nutriments rend plus complexe le traitement de l’eau« , explique Anthony Foucher.
Une île déjà dévastée par la déforestation
Cette matière, qui ne se retrouve plus retenue par la végétation, arrive aussi jusqu’à la mer, avec là aussi des conséquences. Un phénomène déjà observé par les équipes du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement en raison de la déforestation sur l’île. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, le taux de déforestation annuel sur l’île est ede 1,2% ; et Mayotte détient un triste record, celui du département le plus déforesté de France.
« Cette déforestation liée à l’agriculture intensive a les mêmes conséquences : beaucoup de matières arrivent dans le lagon de Mayotte, un site très riche en faune et flore« , poursuit le chercheur. « On la retrouve sur les plages et sur la côte. Les poissons n’aiment pas l’eau turbide et les pêcheurs doivent aller de plus en plus loin de la côte pour maintenir leur activité. »
Le corail et les mangroves détruits
Ces coulées peuvent aussi étouffer le récif corallien, qui est un abri pour 300 espèces de poissons, coraux, vertébrés et mollusques.
D’autant que le corail de Mayotte a, lui aussi, souffert du cyclone. « Il y a eu des très grosses vagues, cinq à six mètres à l’intérieur du lagon, et neuf mètres sur la barrière de corail« , témoigne Matthieu Jeanson, maître de conférences à l’Université de Mayotte en géographie physique. « Les premières constatations sous l’eau ont permis de voir que les zones les plus fragiles, déjà touchées par un phénomène de blanchiment l’an dernier, ont été détruites. Sous l’eau, c’est du gravier désormais. » Là aussi, plusieurs conséquences : le corail sert aussi de barrière aux vagues, il héberge de très nombreuses espèces et fournit une ressource aux pêcheurs de l’île.
Des conséquences pour la pêche et la protection des populations
La mangrove, cette zone de végétation humide qui se développe le long des côtes dans les zones tropicales, a également été touchée par le cyclone Chido. « Sur certains sites, les mangroves n’ont plus de feuilles, les palétuviers ont été déracinés« , témoigne Matthieu Jeanson qui a pu se rendre sur place. « Certains arbres étaient là depuis 200 ans. »
Or, il s’agit là aussi d’un écosystème essentiel, déjà fragilisé à Mayotte par la pression exercée par les hommes. En cas d’ouragan et de tempête, une mangrove en bonne santé permet de limiter l’impact des vagues, de lutter contre l’érosion et de faciliter le ruissellement en cas de fortes pluies. « C’est simple, 200 mètres de mangrove réduisent de 90% l’énergie des vagues« , précise le maitre de conférences.
La mangrove est aussi un habitat essentiel pour de nombreuses espèces, notamment pour les oiseaux, comme le crabier blanc, un petit héron endémique de l’océan Indien. Les makis, des petits lémuriens de Mayotte, ont également perdu leur habitat et leur garde-manger : sur les réseaux sociaux, beaucoup de Mahorais témoignent de leur présence près des zones urbaines. À la recherche de nourriture, beaucoup se font écraser.
Des champs de fortune sur des sites protégés
Seul espoir : la capacité de la végétation à repousser rapidement dans ce climat chaud et humide. « Dès qu’il y a de l’herbe, ça permet de retenir l’eau », souligne Anthony Foucher. Selon l’Office national des forêts, en dix ans, et si des plantations sont effectuées, le couvert forestier peut de nouveau s’élever à huit mètres du sol.
Mais associations et chercheurs alertent sur la nécessité de prendre en compte ce sujet lors de la reconstruction de l’île, car bien souvent, sur ces zones dévastées, poussent des champs et des abris de fortune. Une situation vécue en Haïti après le tremblement de terre de 2021, où les bidonvilles se sont étendus dans des zones autrefois végétales, et qui guette Mayotte.
Selon plusieurs témoignages, dans les zones de forêts dévastées, et autrefois protégées par l’État ou le département, des habitants font désormais brûler le bois au sol pour planter des cultures de subsistance. « Ces zones protégées vont se retrouver sous la pression d’une agriculture informelle qui risque de dégrader encore plus l’environnement« , craint Matthieu Jeanson, appelant lui aussi à prendre en compte la dimension environnementale dans la reconstruction.