La salle était debout et visiblement enthousiaste. L’amphithéâtre Marguerite-de-Navarre du Collège de France était plein à craquer pour écouter le président de la République, Emmanuel Macron, échanger avec l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, mercredi 13 novembre. Le professeur d’économie au Collège, Philippe Aghion, les avait réunis pour disserter sur un sujet pourtant peu enthousiasmant, le décrochage européen par rapport à l’Amérique, thème du rapport rédigé par M. Draghi pour la Commission européenne.
Les applaudissements nourris de ce parterre d’intellectuels, de politiques, d’économistes et d’industriels félicitaient la clarté effrayante du constat plus que la pertinence des solutions proposées. L’image choc qui le résume a été fournie par l’économiste Antonin Bergeaud dans sa présentation préliminaire. En 2005, aux Etats-Unis, les cinq premières entreprises déposantes de brevets de recherche étaient les sociétés Procter & Gamble, 3M, General Electric, DuPont et Qualcomm. Du grand public, de l’électricité, de la chimie et des télécoms.
La même année, en Europe, Siemens, Bosch, Ericsson, Philips et BASF trustaient le top 5. A peu près les mêmes secteurs des deux côtés de l’Atlantique. En 2023, les cinq premiers américains sont Microsoft, Apple, Google, IBM et Qualcomm. Du numérique à tous les étages. En Europe, on dirait un copié-collé de 2005 : Bosch, Ericsson, Philips, BASF, seul le chimiste Bayer a remplacé Siemens.
Marginalisation économique
Cette comparaison montre deux choses essentielles. D’une part, la capacité étonnante du capitalisme américain à se renouveler. Et d’autre part, le basculement violent vers le secteur du numérique. C’est ce dernier à lui seul qui explique le décrochage de l’Europe. Le constat prend soudain une actualité brûlante quand on s’aperçoit que des sociétés issues du numérique, comme l’américain Tesla ou le chinois BYD, sont devenues le pire cauchemar des constructeurs automobiles européens. Leur dernier bastion technologique attaqué par une entreprise californienne et un fabricant de batteries pour smartphones.
M. Macron et M. Draghi ont bien identifié le mal : manque d’investissement dans la recherche, d’appétence pour le risque, d’écosystème financier… Mais l’Europe, selon M. Bergeaud, perd aussi en productivité et donc en capacité à croître et créer de la richesse parce qu’elle travaille moins que les Américains et les Asiatiques. Un choix de société que le monde entier nous envie mais qui a son revers, la marginalisation économique qui limite la capacité de réaction face aux défis géopolitiques et environnementaux… Autant de limites du « en même temps » macronien, percuté par la dureté des temps nouveaux.