La Biélorussie a libéré le militant Ales Bialiatski, colauréat du prix Nobel de la paix 2022, et l’opposante Maria Kolesnikova, a indiqué l’ONG de défense des droits humains Viasna. Ces deux figures de l’opposition, détenues depuis plus de quatre ans dans ce pays allié à la Russie, font partie d’un groupe de « 123 citoyens de différents pays », dont la libération a été annoncée par Minsk sur Telegram. La majorité d’entre eux ont aussitôt été transférés vers l’Ukraine. Entretien avec le sociologue et politiste Yauheni Kryzhanouski, condamné par contumace en juillet 2024 à dix ans de prison par le régime biélorusse.
RFI : Qui sont les personnes qui ont été libérées ce samedi ?
Yauheni Kryzhanouski : Elles sont 123. Parmi elles figurent des personnalités importantes, des militants, des défenseurs de droits humains… Notamment Ales Bialatski, Prix Nobel de la paix et l’un des fondateurs de la plus importante organisation de défense des droits humains biélorusse, Viasna.
Viktor Babariko, lui, a été candidat à la dernière présidentielle et a été arrêté pendant la campagne électorale. Maria Kolesnikova, quant à elle, dirigeait son équipe de campagne. Elle est ainsi devenue l’un des visages de la contestation biélorusse en 2020. Elle aurait d’ailleurs pu quitter le pays en 2020. Les services secrets l’avaient conduite en voiture à la frontière ukrainienne, mais elle a déchiré son passeport pour rester dans le pays et a finalement écopé d’une peine de prison assez lourde. Vous avez ensuite d’autres militants qui sont aussi assez connus. Des militants pour les droits humains, quelques militants politiques également, mais la plupart de ces personnes ne sont pas réellement connues.
Il faut toutefois noter que ces libérations sont particulièrement bizarres d’un point de vue juridique. Il ne s’agit pas d’une grâce pleine et entière. Les personnes sont libérées à la condition qu’elles quittent immédiatement le pays. Cela a été le cas pour celles qui l’ont été précédemment, et j’imagine que ce sera la même chose cette fois-ci. Elles sont expulsées en dehors de toute procédure juridique et se retrouvent d’une certaine manière fugitives. C’est une situation très paradoxale : elles sont libérées, mais sans pouvoir être libres dans leur propre pays. Elles n’ont pas le droit à la retraite, elles ne peuvent pas vendre leur appartement, elles ne peuvent pas bénéficier de leurs propriétés…
Vous l’avez dit, cette vague de libérations – même si le terme n’est donc pas tout à fait juste – fait suite à des dizaines d’autres. En quoi celle d’aujourd’hui est-elle différente des précédentes ?
C’est la plus massive, je dirais. Il ne faut cependant pas oublier qu’il reste plus de 1 000 personnes dans les prisons biélorusses, qui sont considérées comme des prisonniers politiques par des défenseurs des droits humains. Le système est toujours aussi répressif. Les procès et les placements en détention se poursuivent presque quotidiennement, en tout cas toutes les semaines. En revanche, cela permet de mettre en évidence les relations transactionnelles entre les États-Unis et la Biélorussie.
Car ces libérations ont eu lieu après des discussions entre Minsk et Washington…
Il y a une sorte d’accord, selon lequel les libérations de prisonniers politiques et leur expulsion à l’étranger sera faite en échange de la levée de sanctions progressives des États-Unis. La monnaie d’échange aujourd’hui a été la levée de sanctions sur le potassium biélorusse. La Biélorussie est l’un des grands producteurs de potasse. Il s’agit d’un secteur de l’économie très important, surtout au niveau des exportations. C’est une source de revenus conséquente pour le pays, et de richesse pour les hommes d’affaires proches du régime de Loukachenko. La levée des sanctions américaines va énormément apporter d’argent au régime. On peut donc considérer que ces 123 détenus ont été vendus assez cher, même si tout cela est à prendre avec beaucoup de précautions dès lors qu’on ne connaît pas tous les détails de ces libérations.
Ces discussions se tiennent alors que les négociations sur la sortie de la guerre en Ukraine battent leur plein. Et Washington semble compter sur la proximité entre Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine pour les faire aboutir. Cela vous paraît-il réaliste ?
Là encore, dès lors que ce processus n’est pas public, on ne peut que spéculer. Mais ce n’est pas improbable. L’administration américaine tente d’actionner tous les leviers possibles pour faire aboutir ces négociations. Celui de Loukachenko peut en être parmi d’autres, mais je ne pense pas que ce soit le plus efficace, surtout compte tenu du fait que les Américains parlent directement avec les Russes. Ils n’ont donc pas réellement besoin de Loukachenko. Mais ils essaient de jouer toutes leurs cartes. Qui sait, peut-être Loukachenko pourra-t-il un jour faire pencher la balance ? Mais je n’y crois pas vraiment.
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