L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
A la base, un Goncourt cuvée 2018, signé Nicolas Mathieu. A la manœuvre, Hugo Sélignac, talentueux et éclectique producteur (BAC Nord, Le Grand Bain, Mandibules, Le Royaume…). A l’arrivée, le quatrième long-métrage des jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma, 32 ans, formés chez Luc Besson (Ecole de la Cité), réalisateurs prolixes et détourneurs du genre horrifique (Teddy, 2020 ; L’Année du requin, 2022). Leur nouveau film, commande à 12 millions d’euros qui les fait passer aux choses sérieuses, a valu à son acteur principal, le talentueux Paul Kircher – plus que remarqué dans Le Lycéen (2022), de Christophe Honoré, et Le Règne animal (2023), de Thomas Cailley – le prix du meilleur espoir masculin à la Mostra de Venise.
Cap à l’est donc, pour ce roman de formation adolescent, qui se déroule dans les années 1990, dans la commune imaginaire d’Heillange, à l’ombre des hauts fourneaux désaffectés, parmi une population paupérisée par la désindustrialisation. Le titre du roman, emprunté à une formule de la Bible, reflète le statut des parents sur le destin de leurs propres enfants. Les jeunes frères – histoire de les distinguer des Dardenne avec lesquels ils n’ont de toute façon pas grand-chose à voir – y élaguent pas mal pour se concentrer sur l’essentiel, qui se joue sur quelques étés.
Quelques figures y tiennent le haut du pavé narratif. Anthony Casati (Paul Kircher), ado acnéique dernier degré, blouson en cuir et bécane cross volés à papa, cheveux dans les yeux, qui s’emmerde avec son cousin un peu plus déluré que lui et drague les filles sans réelle conviction. Les parents d’Anthony, Hélène (Ludivine Sagnier) et Patrick (Gilles Lellouche), couple fragile – elle s’ennuie à cent sous de l’heure, il boit de plus en plus, ils se retrouvent de loin en loin – émargeant au milieu popu et au marasme économique de la région. Stéphanie (Angelina Woreth), la fille la plus convoitée du secteur, belle, fille d’une notabilité, inatteignable. Enfin Hacine (Sayyid El Alami), l’antagoniste d’Anthony, petit dealeur beur de la cité, méchant comme une teigne, fils d’un père exemplaire, écrasé par son statut social.
Une mythologie américaine
En quelques années, les personnages évoluent. Anthony s’affirme et embellit. Hélène et Patrick se séparent dans la douleur. Stéphanie vise une grande école. Hacine revient enragé du Maroc où son père l’avait expédié. Cependant le drame aura stagné selon deux axes. L’amour jamais payé de retour d’Anthony pour Stéphanie, l’animosité jamais vraiment éteinte entre Anthony et Hacine. Entre ces murs invisibles que le film rend charnellement sensibles, les frères Boukherma ont fait le choix de l’antinaturalisme. Rehaussement de la tension romanesque. Désir à fleur de peau. Poussée des feux chromatiques. Esthétisation des paysages. Plongée dans un bain amniotique de musique. Dream on (1973), d’Aerosmith, Run to the Hills (1982), d’Iron Maiden, Je te donne (1985), de Jean-Jacques Goldman, Nothing Else Matters (1991), de Metallica, s’étagent ici comme un traité de sociologie musicale.
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