mercredi, mai 8

La Commission européenne a convoqué ses dieux romains pour conduire l’Europe vers d’autres rivages : Enrico Letta, ancien président du conseil des ministres d’Italie, a présenté au sommet européen des Vingt-Sept, le 18 avril, son rapport sur la réforme du marché unique européen visant à empêcher le décrochage vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine ; Mario Draghi, ancien président du conseil des ministres d’Italie, lui aussi, et ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), doit rendre son rapport sur la compétitivité de l’Union européenne (UE) au mois de juin, mais il en a présenté la substance, le 16 avril, à la Conférence de haut niveau sur le pilier européen des droits sociaux (traduite par la revue Le Grand Continent).

Lire aussi l’entretien | Article réservé à nos abonnés Enrico Letta sur l’économie de l’Europe : « C’est le décrochage du décrochage, on ne peut plus attendre »

Les deux se rejoignent sur le constat d’une fragmentation pénalisante : trop de frontières internes empêchent le marché unique d’en être vraiment un. D’où l’absolue nécessité, selon eux, de l’union des marchés de capitaux, sans laquelle l’abondante épargne européenne continuera de fuir vers l’extérieur, notamment vers les Etats-Unis, au lieu de financer les besoins d’investissement du Vieux Continent. Cela suffira-t-il pour rejoindre les rivages du monde d’après  et éloigner ce sentiment de plus en plus prégnant que « notre Europe est mortelle », comme l’a dit Emmanuel Macron à la Sorbonne, le 25 avril ?

Pas sûr, car cette fragmentation, pointée comme la cause du décrochage européen, est en même temps la conséquence d’un profond défaut de construction. L’Europe pâtit de son union incomplète entre des Etats membres qui ont consenti à partager l’euro et la BCE, mais pas leur budget ni leur fiscalité (« Un pacte budgétaire et fiscal européen face aux crises », Thomas Piketty et Antoine Vauchez, L’Economie politique no 101, 2024). En conséquence, les Etats membres ont peu de dépenses communes.

Absence d’effets d’échelle

Mario Draghi le déplore à propos du marché des commandes publiques, qui demeure de fait fragmenté, ce dont pâtissent notamment les dépenses de défense et de sécurité, beaucoup trop éclatées à l’heure où l’Europe doit restaurer sa souveraineté en la matière. Mais il n’en dit pas la cause : c’est précisément parce qu’il n’y a ni budget commun digne de ce nom, ni d’impôts communs, qu’il y a très peu de recettes communes entre les Etats membres, et donc pas assez de dépenses communes. L’absence d’effets d’échelle, qu’il déplore en regrettant que l’Europe ne joue pas naturellement de sa taille comme y parviennent les larges économies continentales concurrentes (Etats-Unis, Chine), provient aussi de cette union incomplète.

Il vous reste 57.47% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version