La hausse des cachets des artistes met en danger les festivals. Alors que de nombreux événements musicaux commencent à annoncer leur programmation pour 2025, certains organisateurs bretons dénoncent, dans le journal Le Télégramme, l’explosion des montants demandés par les artistes pour venir se produire sur leurs scènes. Une flambée telle que certains festivals craignent pour leur survie.
« On ne pourrait plus se payer Orelsan ou M. Les gros artistes internationaux, je ne vous en parle même pas », regrette ainsi Carole Meyer, directrice du festival Art Rock, dans les colonnes du Télégramme.
« On est obligé de rationaliser les projets »
Mais les festivals bretons ne sont pas les seuls à subir cette hausse. À Lyon, le festival Woodstower, qui a rassemblé près de 30.000 spectateurs en 2024 souffre également de cette explosion des cachets.
Si l’événement a pu notamment accueillir l’été dernier des artistes de renom comme Booba ou Hamza, les organisateurs ont dû en contrepartie faire des concessions, supprimer une de leurs scènes et écourter le festival d’une journée.
« Ce n’est pas trop la vocation du festival, mais malheureusement on est un peu obligé de rationaliser les projets », confie auprès de BFMTV.com Maxime Noly, le directeur et programmateur du festival.
« À une époque où on était plutôt dans la défense d’une pluralité de programmation avec une offre très riche, beaucoup de scènes et des artistes de toutes catégories, aujourd’hui on doit faire moins de scènes, avoir moins d’artistes et essayer de miser juste sur les têtes d’affiche si on veut survivre », poursuit-il.
Même son de cloche du côté du festival Au Foin de la Rue, en Mayenne. « Ça devient de plus en plus compliqué », nous indique Léa Bélangeon, coordinatrice générale de l’événement. « Entre l’avant Covid et aujourd’hui, on a dû augmenter le budget de programmation d’à peu près 75% tout en gardant le même nombre de spectateurs, mais à termes, mathématiquement, ça ne marche pas. »
D’autant plus que ce festival, qui a accueilli plus de 18.000 visiteurs en 2024, se tient lors du premier week-end de juillet, soit lors du plus gros week-end de festivals en France. « On a une énorme concurrence donc c’est forcément très compliqué de négocier les cachets artistiques », confie Léa Bélangeon.
« Tout le monde pratique les mêmes tarifs »
Selon Maxime Noly, cette hausse des cachets des artistes existe depuis plusieurs années, mais elle s’est intensifiée après la pandémie de Covid, notamment pour les artistes français, afin de compenser les pertes liées à la mise à l’arrêt de l’industrie.
« Avec la crise qu’on venait de vivre, on espérait revenir à des tarifs plus rationnels, mais ça a plutôt eu l’effet inverse. Il y avait l’envie de rattraper des choses qui n’avaient pas pu se faire pendant cette période et d’engranger des cachets pour combler ça », indique Maxime Noly.
Mais depuis, le phénomène n’a fait que prendre en ampleur et s’étend désormais à « toutes les tranches d’artistes, pas que les gros », assure le directeur. « Les montants ont parfois quadruplé en l’espace de quelques mois », assure-t-il.
« Il y a des artistes sur lesquels on nous demande d’un coup des montants à 15 ou 20.000 euros alors que ça ne se justifie absolument pas. C’est parce que l’artiste a un ‘buzz’ et n’existera certainement plus l’année d’après donc il faut prendre l’argent dès que possible », poursuit Maxime Noly.
Cette hausse ne concerne plus uniquement les artistes internationaux et touche désormais « toutes les esthétiques ». « Les musiques électroniques, pendant longtemps, ça a été par exemple un marché qui était un peu plus abordable. Maintenant tout le monde pratique les mêmes tarifs », déclare le directeur.
« Une bulle spéculative »
D’après Maxime Noly, cette flambée des cachets s’explique notamment par l’inflation. « Comme tout le monde, les artistes sont sujets à des augmentations de coût de production sur la location de matériel, de transport… Donc ça contribue à une part de l’augmentation », note le directeur du festival Woodstower.
Mais pour Léa Bélangeon, cette hausse pourrait toutefois « facilement être corrigée » par les artistes et leurs équipes en revoyant certaines de leurs exigences à la baisse. « Dans les années 2000-2010, quand les artistes tournaient en festival, ils savaient qu’ils ne pourraient pas proposer exactement la même scénographie que dans un Zénith », détaille-t-elle.
« Aujourd’hui, la plupart des artistes ne veulent pas faire cette concession. Ils viennent en festival avec la même scénographie et le même nombre de personnes que s’ils louaient le Zénith pour une soirée. Donc forcément ça amène des coûts de production énormes qui sont répercutés sur les festivals », poursuit Léa Bélangeon.
L’autre contrainte, c’est aussi la concurrence entre les festivals associatifs comme le Woodstower ou Au Foin de la Rue avec d’autres événements musicaux financés par des producteurs privés comme Lollapalooza, produit par Live Nation ou Rock en Seine et Golden Coast, qui peuvent compter sur le soutien du groupe Combat Média, appartenant au banquier d’affaire Mathieu Pigasse.
« On n’est pas tout à fait dans les mêmes échelles qu’un festival porté par Live Nation ou par des producteurs privés. Donc quand ils sont capables de sortir des montants déconnectés des réalités économiques, des 100.000 ou 150.000 euros, pour un artiste, ça nous pose forcément des difficultés », regrette Maxime Noly.
« On est dans une bulle spéculative. Si ces festivals continuent à payer un artiste à des prix démentiels, pourquoi sa production baisserait le prix du cachet? Donc à partir de ce moment-là, ils font l’offre et la demande facilement et nous, indépendants, c’est plus compliqué de se trouver une place », abonde Léa Bélangeon.
Les festivals français doivent également composer avec une forte concurrence à l’échelle internationale. « Les artistes internationaux sont de moins en moins présents sur les affiches de festivals en France parce qu’à l’international, le marché français est de moins en moins compétitif par rapport au reste du monde. Les artistes font donc parfois le choix de ne pas venir en France », déplore Maxime Noly.
« Ça commence à bouger un petit peu »
Pour assurer leur équilibre financier et leur survie, certains festivals tentent ainsi de répercuter cette hausse des cachets des artistes en augmentant légèrement chaque année le prix de leurs billets. Si cela ne semble pas refroidir les programmateurs d’événements à gros budget, d’autres organisateurs craignent toutefois à termes de perdre une partie de leur public, en proposant des tarifs trop élevés.
« Nous, qui sommes un festival associatif, notre but est rendre la culture accessible à la majorité des gens. Mais entre la baisse des financements publics et l’inflation perpétuelle des prix des cachets, on risque d’aller d’avoir des billets aux alentours de 150 à 200 euros, même pour un festival moyen », assure Léa Bélangeon.
Reste alors aux festivals associatifs le pari de la différence: une programmation locale avec des artistes émergents. « Quand d’autres événements vont proposer des artistes qui coûtent très cher, quitte à avoir des billets qui atteignent des sommes folles, nous on va plutôt réfléchir à garder une programmation qui nous permet de pratiquer des tarifs de billets accessibles. C’est surtout ça qui va nous permettre de rester concurrentiel dans les années à venir », ajoute Léa Bélangeon.
Selon Maxime Noly, certains acteurs du milieu commence toutefois à prendre conscience de la situation complexe des festivals: « on a eu un été extrêmement compliqué avec beaucoup de festivals qui en sortent très fragilisé, voire qui vont disparaître et il y a des acteurs qui sont sensibles à ça. »
« Certains réalisent qu’ils ont quand même besoin de nous pour continuer à travailler et qu’il faut peut-être penser à redescendre un peu les tarifs des cachets. C’est pas le cas de partout, mais ça commence à bouger un petit peu », conclut-il.
Article original publié sur BFMTV.com