Cinq romans, deux recueils de poésie, un album jeunesse, une biographie, un essai d’histoire, un de psychanalyse, un de féminisme et les auteurs du « Monde »… Voici les brèves critiques de quinze ouvrages notables en cette quatorzième semaine de l’année.
Roman. « Aux abois », de Tristan Bernard
Il n’y a pas plus de postérité en littérature que de concessions perpétuelles dans les cimetières. Tout est affaire de temps. Restent l’Académie et le Panthéon. Mais la liste des Immortels tombés dans l’oubli ou celle des grands hommes inconnus font mesurer la fragilité de la mémoire. A propos de l’Académie, dont il ne fut jamais, Tristan Bernard (1866-1947) disait : « Je préfère faire partie de ceux dont on se demande pourquoi ils n’en sont pas plutôt que de ceux dont on se demande pourquoi ils y sont. » De Tristan Bernard ne subsiste guère que quelques mots d’esprit. Il fut pourtant un auteur prolifique et admiré : dramaturge (plus de cinquante pièces), romancier et nouvelliste (une vingtaine de titres). Comme son ami Jules Renard, il est à la fois tendre et cynique, posant sur ses contemporains un regard d’une ironie lucide, grinçante. Aux abois (1933), qui est réédité, est un roman d’une complète noirceur. Il s’agit du journal que tient un assassin après un crime sanglant pour lequel il n’éprouve aucun regret. Il avait simplement besoin d’argent. On le suit dans une cavale biscornue où de paranoïdes obsessions égratignent son indifférence à presque tout. Un monstre très ordinaire, triste et vain, en route vers une issue qui ne sera pas celle qu’on imagine. C’est d’une justesse parfaite. Tristan Bernard s’y révèle en peseur d’âmes. Il ne mérite décidément pas son purgatoire. X. H.
« Aux abois », de Tristan Bernard, L’Arbre vengeur, « L’exhumérante », 168 p., 17,50 €.
Féminisme. « La Pensée Wittig », de Natacha Chetcuti-Osorovitz et Sara Garbagnoli
C’est comme une « révolutionnaire » que les sociologues Natacha Chetcuti-Osorovitz et Sara Garbagnoli abordent l’écrivaine, théoricienne et militante Monique Wittig (1935-2003). Car rendre compte de la trajectoire d’une telle figure implique de se confronter à une forme de radicalité intellectuelle. Fondamentalement anti-essentialiste, Monique Wittig envisageait en effet les catégories homme et femme comme des classes antagonistes créées par des rapports de pouvoir ; et l’hétérosexualité comme un « système totalitaire » d’oppression des femmes. Elle plaçait dans le lesbianisme, compris en tant que positionnement existentiel, idéologique et politique, l’espoir d’une « évasion possible », à laquelle, par le travail du langage et des formes littéraires, elle a donné l’ampleur d’un horizon nouveau. Une analyse minutieuse de l’appareillage conceptuel développé par Wittig, comme de l’ancrage de l’œuvre dans son contexte historique, permet aux autrices de mettre en lumière l’actualité et la force de ces questionnements. So. Be.
Il vous reste 86.33% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.