Avec le retour de Donald Trump, que va-t-il advenir des exportations africaines à destination du marché américain, actuellement exonérées de taxes ?
La question donne des sueurs froides aux producteurs d’agrumes en Afrique du Sud, un secteur qui craint le non-renouvellement des franchises douanières. Les fruits figurent parmi 1 800 produits issus de 32 pays africains bénéficiant de préférences tarifaires grâce à l’African Growth and Opportunity Act (AGOA). Les entreprises sud-africaines, kényanes, nigérianes et ghanéennes sont celles qui profitent le plus de ces dispositions. Donald Trump ayant promis d’imposer des droits de douane d’au moins 10 % sur toutes les importations aux Etats-Unis, le renouvellement de l’AGOA – qui doit expirer en 2025 – par le Congrès républicain demeure incertain.
« Nous avons besoin de cet avantage concurrentiel », dit à l’Agence France-Presse (AFP) Justin Chadwick, patron de l’Association sud-africaine des producteurs d’agrumes (CGA) : « Si l’Afrique du Sud était exclue de l’AGOA, des milliers d’emplois ruraux pourraient être affectés et plus d’un milliard de rands [52,3 millions d’euros] de recettes d’exportation pourraient être perdues. » Un producteur situé dans la province du Cap-Oriental juge, lui, que si l’AGOA n’était pas renouvelé, cela « tuerait » son activité. Cette entreprise sud-africaine, souhaitant rester anonyme, dit employer plus de 3 000 personnes et exporter en moyenne 350 conteneurs de sorbets par an aux Etats-Unis.
L’automobile est un autre secteur qui pourrait être touché par l’abandon de l’AGOA, même si certaines entreprises gagent que les consommateurs américains accepteront des prix plus élevés. « Je ne prévois pas de changement majeur dans les habitudes d’achat des Américains s’agissant de nos produits », estime Ken Manners, directeur général de SP Metal Forgings Group, une entreprise sud-africaine exportant des pièces détachées automobiles aux Etats-Unis. Même si des droits de douane étaient imposés, « cela ne changerait pas grand-chose à notre capacité à demeurer un fournisseur compétitif », assure-t-il : « Le type de produits que nous fournissons aux Etats-Unis est très difficile à trouver ailleurs. »
« On ne sait pas jusqu’où il ira »
Que l’AGOA soit renouvelé ou non, son impact est limité à l’échelle nationale, d’après les analystes. « On ne parle même pas de 1 % » de l’économie sud-africaine, juge l’économiste Dawie Roodt, établi à Johannesburg : « Mais dans un environnement où l’économie ne croît pratiquement pas ou très peu, tout compte et s’additionne. » « Trump et ses politiques économiques sont imprévisibles, volatiles et erratiques. On ne sait pas jusqu’où il ira », fait remarquer Ronak Gopaldas, du cabinet de conseil londonien Signal Risk : « Une stratégie efficace consiste à s’attendre au pire et à espérer le meilleur. »
Les entreprises kényanes et ghanéennes bénéficient aussi de l’AGOA, en particulier dans l’industrie textile. Mukhisa Kituyi, un homme politique kényan qui a été secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), estime que la prochaine administration américaine pourrait pencher pour une renégociation de l’AGOA plutôt qu’un retrait. « Ce que l’Amérique veut, c’est resserrer ce qu’elle appelle “les règles pays tiers d’origine” », indique-t-il à l’AFP. Cela empêcherait par exemple les entreprises d’importer des textiles de Chine ou d’Inde, de les coudre en Afrique, puis de les vendre aux Etats-Unis sous forme de vêtements africains.
Un autre point d’interrogation concerne les exportations de minéraux de République démocratique du Congo (RDC), de Zambie et d’Angola. Bien que ces produits ne soient pas éligibles à l’AGOA, les pays d’Afrique centrale ont reçu une attention et des investissements particuliers sous la présidence de Joe Biden. « Ces relations vont-elles perdurer ou allons-nous assister à un retour en arrière, à une refonte radicale de certaines des avancées réalisées ? », s’interroge Ronak Gopaldas. Trump « ignorera probablement l’Afrique », selon Dawie Roodt, à moins que des pays « n’attirent son attention pour de bonnes ou mauvaises raisons ».
Les positionnements géopolitiques pourraient être un facteur déterminant et préjudiciable pour un certain nombre de gouvernements africains qui ont montré leur soutien à la Russie et à la Chine ou ont critiqué Israël. L’Afrique du Sud, en particulier avec sa procédure intentée contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour génocide, va marcher « sur un fil », analyse Ronak Gopaldas, surtout « si les Etats-Unis opèrent une clarification du type “avec nous ou contre nous” ».