Livre. A l’automne 2023, dans la foulée du massacre du 7-Octobre perpétré par le Hamas, le général Giora Eiland, ancien chef du Conseil de sécurité nationale israélien, avait exposé dans les colonnes du quotidien Yediot Aharonot ce que devait être, selon lui, la riposte de l’Etat hébreu. « Israël n’a pas d’autre choix que de faire de Gaza un lieu où il sera temporairement ou définitivement impossible de vivre », écrivait-il.
La consigne a été suivie à la lettre par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. En un an de bombardements sur Gaza, l’armée israélienne a pulvérisé tout ce qui permettait aux habitants de cette bande côtière de faire société : habitations, administrations, écoles, universités, lieux de culte, centres culturels, terrains de sport, usines, entrepôts, champs, routes, ronds-points, etc.
Cette entreprise d’anéantissement, qui s’est soldée par la mort, à ce jour, de plus de 41 000 Palestiniens, en majorité civils, est au cœur du Livre noir de Gaza, ouvrage collectif dirigé par Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient. Il réunit une soixantaine de textes consacrés à Gaza, des rapports d’ONG et des enquêtes journalistiques principalement, qui sont organisés par thèmes (blocus humanitaire, attaques contre le système de santé, civils pris pour cibles, etc.) et présentés par un spécialiste du sujet.
« Un nettoyage ethnique »
A l’origine de ce travail, il y a la volonté de documenter, d’établir les faits, pour lutter contre l’« invisibilisation » des Gazaouis et de leurs souffrances. Ce processus, sans lequel la destruction du territoire côtier n’aurait pas pu être menée au paroxysme où elle l’a été, s’est nourri de plusieurs actions concrètes des autorités israéliennes : l’interdiction faite aux médias étrangers de pénétrer dans l’enclave, la fermeture des bureaux de la chaîne Al-Jazira en Israël et en Cisjordanie et le ciblage des journalistes à Gaza.
Mais ce black-out est aussi passé par des mesures plus insidieuses, de contrôle de la parole publique dans les pays occidentaux, notamment « la rhétorique de l’intimidation par assignation à l’antisémitisme », que pointe courageusement Rony Brauman, l’ancien président de Médecins sans frontières, dans la préface du livre. « Cette guerre a tué des gens de chair et d’os comme s’ils n’étaient que des ombres », écrit Peter Harling, directeur de Synaps, un centre de recherches basé à Beyrouth, dans l’introduction d’un des chapitres.
Dans la partie consacrée aux armes de la guerre, Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée française, s’interroge sur l’emploi par l’aviation israélienne de bombes de 500 kilos – et même 1 000 – contre l’immense camp de réfugiés qu’est la bande de Gaza. En accumulant chiffres, faits et témoignages, Le Livre noir de Gaza fait émerger l’objectif tacitement poursuivi par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou : « Un nettoyage ethnique, affirme Agnès Levallois, visant, si ce n’est à éliminer physiquement les Gazaouis, du moins à provoquer, et cette fois définitivement, leur départ de leur terre. »
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