« La charpente, la charpente, j’en ai un peu marre de la charpente, on ne parle que de ça », râle le prêtre Henry de Villefranche, chanoine de Notre-Dame. Manière de dire que Dieu s’est fait un peu trop silencieux pendant toutes ces années de travaux qui ont suivi l’incendie du 15 avril 2019 ? « Depuis deux ans, chez nous, on ne parle pas assez de choses intéressantes et trop de ce chantier qu’on ne cesse de dire “hors norme”. Il y a là une grosse exagération. Cette histoire de la statue de la Vierge qui s’en serait sortie miraculeusement, c’est n’importe quoi. Hormis l’autel, pratiquement tout l’intérieur de la nef a échappé à l’incendie. Si l’orgue de chœur a été abîmé, c’est par l’eau des pompiers. Beaucoup de poussière a été déposée partout, mais quasiment rien n’a été touché. Il faut démythologiser cette idée de miracle permanent. »
Et revenir à la transcendance ? Depuis l’incendie, on a peu entendu le clergé face à un Etat aimant à rappeler dès que possible que Notre-Dame, c’est la France, que les murs sont de son ressort, et que la cathédrale est tout autant un lieu touristique qu’un temple du spirituel. Bref, que Dieu n’a qu’à bien se tenir.
Au lendemain de la catastrophe, déjà, les observateurs s’interrogeaient : où sont les cols romains et les soutanes ? Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris à l’époque, a la réputation de préférer, malgré ses opinions morales conservatrices, jouer du Brassens sur sa guitare, plutôt que de courir les dîners officiels. L’un des vicaires généraux, Benoist de Sinety, est chargé de pallier ces absences, mais, entre les deux hommes, l’atmosphère est abrasive, et le vicaire s’exile rapidement en province. Même cacophonie du côté des prêtres de Notre-Dame. Rue Chanoinesse, leur quartier général de l’île de la Cité, dans le 4e arrondissement, les couteaux sont tirés derrière les politesses de façade. L’onctueux recteur Mgr Patrick Chauvet est, dit-on, plus habile à choisir l’angle des caméras qu’à unir un équipage dans la tempête.
Quand l’archevêque se voit, en décembre 2021, contraint à la démission (accusé dans Le Point d’avoir eu une « relation intime avec une femme », Michel Aupetit nie tout manquement moral, mais admet une situation malencontreuse), son successeur, Laurent Ulrich, va reprendre les choses en main. Son premier geste, très symbolique, en arrivant de Lille où il officiait jusque-là, est de se faire déposer en voiture sur le parvis de la cathédrale. Il transfère rapidement le curé de Notre-Dame à l’église de la Madeleine, et nomme à sa place un homme qu’on dit ambitieux, ancien porte-parole de la Conférence des évêques de France, Olivier Ribadeau Dumas. A l’exception du chanoine Henry de Villefranche, toute l’équipe ecclésiastique sur l’île de la Cité a été renouvelée depuis l’incendie.
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