L’anthropologue David Graeber (1961-2020) disait parfois que la plupart des gens sont anarchistes, mais que la grande majorité d’entre eux l’ignore. Cette position est sans doute un peu exagérée, mais elle rend bien compte de certaines impasses du débat public, où des mots sont frappés d’un tel opprobre que la réalité de ce qu’ils recouvrent disparaît complètement de la conversation.
L’idéologie libertaire et ses nombreuses déclinaisons sont ainsi spontanément associées à un état d’anomie et de chaos social, alors que nombre de leurs valeurs ou des principes qui en découlent – la liberté, l’égalitarisme, le rapprochement de la population de la décision politique, la révocabilité des élus, le communalisme, etc. – peuvent rencontrer une large adhésion dans l’opinion.
Une équipe de chercheurs en économie et en sciences comportementales de la London School of Economics et de l’université autonome de Barcelone a testé l’intuition de David Graeber sur un autre concept économique et social qu’il est généralement préférable de ne pas nommer pour éviter l’excommunication ou le bûcher : la décroissance. A sa seule mention apparaissent immédiatement des images mentales de pénurie, de privations et de retour à la bougie, mais que se passe-t-il lorsque les individus sont amenés à juger de ses grands principes lorsque le mot lui-même n’est pas mentionné ?
Jauger l’adhésion
Dario Krpan, Frédéric Basso, Jason Hickel et Giorgos Kallis ont enrôlé plus de 5 000 personnes vivant au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et les ont d’abord interrogées sur leur adhésion à la « décroissance » sans plus d’explications. Ils ont aussi vérifié auprès des mêmes échantillons la popularité de termes comme « écosocialisme », ou encore « économie du bien-être ». Leurs résultats, présentés dans la dernière édition de la revue The Lancet Planetary Health, en décembre, indiquent que seule une petite minorité des personnes interrogées – 20 % à 26 % au Royaume-Uni et 13 % à 28 % aux Etats-Unis, selon les sous-échantillons – adhère à l’idée de « décroissance ». Faible, ce score n’est cependant pas si minuscule et les autres appellations proposées rencontrent toutes une plus forte adhésion – « économie du bien-être » apparaissant comme la plus consensuelle.
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