Où que l’on se trouve dans l’exposition « Ravel Boléro », devant le bureau de l’artiste, sa malle de voyage ou les portraits de ses parents, des images filmées de l’une des multiples versions chorégraphiques du Boléro nous captent l’œil et l’oreille. Distribuées à travers un dispositif d’écrans disséminés dans l’espace, elles scandent la visite, en accélèrent le cardio, déportent l’attention. Soudain, une attaque de Ninja explose le Boléro dans l’invraisemblable film Love Exposure (2008), de Sion Sono, tandis que la voix de Maurice Béjart (1927-2007) rappelle que la partition de Ravel « n’est pas une musique espagnole, c’est une œuvre abstraite, une œuvre violente, une œuvre émotive, où l’on voit la lutte entre une mélodie, une mélodie orientale, et un rythme implacable… »
Maurice Ravel lui-même disait : « Mon Boléro devrait porter en exergue : enfoncez-vous bien cela dans la tête. » Avec plaisir, et on en redemande même depuis sa création en 1928. C’est la danseuse et mécène Ida Rubinstein (1885-1960) qui eut l’idée de passer commande au compositeur d’un ballet pour sa compagnie. La production est à l’affiche le 22 novembre 1928, à l’Opéra de Paris, en l’absence de Ravel, parti pour une tournée en Espagne. Dans la chorégraphie de Bronislava Nijinska (1891-1972), les costumes et les décors d’Alexandre Benois (1870-1960), Ida Rubinstein, la fleur à l’oreille en style gitan, devient l’attraction d’une taverne. Grimpée sur une table, elle est entourée par « vingt mâles fascinés par l’incantation charnelle d’une seule femme », selon la description du critique André Levinson.
Béjart référence absolue
Volontairement sexuelle dans la montée orgasmique de la musique, la pièce est revisitée en 1961 par Maurice Béjart, qui signe un ballet devenu culte. Il reprend l’idée de la table qu’il fait peindre en rouge et place au centre de la scène. Une première version est présentée au Théâtre royal de la Monnaie, à Bruxelles, avec Duska Sifnios encerclée par 40 hommes de la troupe de Béjart, Le Ballet du XXe siècle. Une deuxième lecture verra le jour avec un danseur torse nu en vedette. De nombreux interprètes, de Maïa Plissetskaïa à Sylvie Guillem, se sont attaqués à cette œuvre inflexible immortalisée par Jorge Donn dans le film Les Uns et les Autres, réalisé en 1981 par Claude Lelouch. En 2008, l’étoile de l’Opéra national de Paris Nicolas Le Riche fera se lever comme un seul homme les 2 700 spectateurs de l’Opéra Bastille à l’issue de sa performance à couper le souffle.
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