Neuf ans après la loi de 2016, la « violence prostitutionnelle » reste encore « largement invisibilisée » en France, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes qui fait état d’un faible nombre de clients verbalisés et d’une hausse marquée de la prostitution des mineures.
« En 2024, les forces de sécurité intérieure ont réalisé 1 146 verbalisations de clients pour achat d’actes sexuels sur personne majeure, contre 1 160 en 2023 et 1 155 en 2022 », chiffre cette instance qui relève de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).
Ces contraventions « sont très inégalement réparties sur le territoire », constate l’Observatoire : une majorité d’entre elles (58 %) ont été dressées à Paris quand, sur la même période, 36 départements n’en affichent aucune au compteur.
Fruit de deux ans et demi d’intenses débats parlementaires, la loi du 13 avril 2016 avait marqué un tournant dans la politique française en abrogeant le délit de racolage pour le remplacer par la pénalisation des clients. Ces derniers sont désormais passibles d’une amende de 1 500 euros et 3 750 euros en cas de récidive. Mais, dans les faits, ils le sont peu, selon l’étude.
Pour la secrétaire générale de la Miprof, Roxana Maracineanu, « force est de constater » que les victimes de la « violence prostitutionnelle » sont « encore largement invisibilisées, passant sous les radars des forces de sécurité et des pouvoirs publics en général ».
En dépit du travail de certains professionnels sur le terrain qui « s’efforcent de poursuivre les auteurs, protéger et mettre à l’abri les victimes », les auteurs des violences, « qu’ils soient clients ou proxénètes, profitent d’un système qui sert leur impunité et donc leur commerce lucratif », déplore-t-elle.
En 2024, 1 579 victimes de proxénétisme ou de recours délictuel à la prostitution − c’est-à-dire commis avec une ou plusieurs circonstances aggravantes, dont la minorité de la victime − ont été enregistrées par les forces de sécurité intérieure, soit une hausse de 9 % par rapport à 2021. Sur ces 1 579 victimes, 920 étaient majeures et 659 mineures.
Plus de la moitié des Françaises en situation de prostitution seraient mineures
Objet d’inquiétude depuis plusieurs années, la hausse du nombre de victimes mineures de proxénétisme enregistrées se confirme. Depuis 2021, leur nombre a augmenté de 14 % et « l’augmentation est de 107 % pour le nombre de mineurs victimes d’un achat d’actes sexuels ». « Ces hausses traduisent les stratégies des proxénètes qui exploitent des vulnérabilités multiples et recourent souvent à l’utilisation de stupéfiants pour asseoir leur emprise », relève Roxana Maracineanu.
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Si la pénalisation des clients stagne, la réponse judiciaire progresse. Entre 2017 et 2023, le nombre de condamnations prononcées pour proxénétisme, proxénétisme aggravé, recours à la prostitution, recours à la prostitution aggravé et de tenue d’un lieu de prostitution a plus que doublé (+ 106 %).
La loi de 2016 avait également mis en place un parcours de sortie de la prostitution pour accompagner les victimes, notamment sur le plan financier via l’aide financière à l’insertion sociale. Depuis 2017, 1 783 personnes en ont bénéficié. En 2024, elles étaient 806 à avoir reçu au moins un versement, contre 672 en 2023.
Le bât blesse en revanche en ce qui concerne les commissions départementales chargées d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de prostitution, relève la Miprof : près d’un quart d’entre elles ne se sont pas réunies en 2024.
Selon les dernières estimations officielles, entre 35 000 et 40 000 personnes seraient en situation de prostitution en France. Sur ces 40 000 personnes, 85 % seraient des femmes, 53 % seraient françaises, et parmi ces dernières, 60 % seraient mineures.