La cour d’appel de Paris a remis au 23 janvier la suite du procès en appel du cinéaste Christophe Ruggia, vendredi 19 décembre, jugé pour agressions sexuelles sur l’actrice Adèle Haenel entre ses 12 et 14 ans. A 20 heures, la cour avait seulement eu le temps de procéder à l’interrogatoire du réalisateur de 60 ans, alors que le dossier n’était audiencé que sur un après-midi. Adèle Haenel n’a pas eu l’occasion d’être appelée à la barre.
Lors d’un interrogatoire de cinq heures, le cinéaste a martelé, comme depuis le premier jour, n’être « ni un agresseur sexuel, ni un violeur, ni un pédophile ou quoi que ce soit de ce genre ». « Si j’avais fait ce qu’elle m’accuse d’avoir fait, avoir mis la main dans son pantalon ne serait-ce qu’une fois, je n’aurais jamais pu me regarder dans la glace et j’aurais cessé immédiatement de la voir. Ça n’est jamais arrivé », s’est-il indigné devant la cour.
L’audience avait lieu un an après un procès électrique dans cette affaire emblématique du #MeToo du cinéma français. Condamné en première instance à quatre ans de prison, dont deux ferme à effectuer sous bracelet électronique, le réalisateur était à nouveau confronté dans le prétoire à l’actrice doublement césarisée de 36 ans, qui a depuis tourné le dos au cinéma pour se consacrer au théâtre et au militantisme.
Le scandale a éclaté il y a six ans, en novembre 2019, lorsque dans une enquête de Mediapart Adèle Haenel accuse Christophe Ruggia d’agressions sexuelles de 2001 à 2004, dans la foulée de l’éprouvant tournage du film d’auteur Les Diables, où le réalisateur lui a offert son premier rôle au cinéma.
De manière constante, de sa première prise de parole publique au procès de décembre 2024, Adèle Haenel décrit des caresses répétées et non consenties de la part de Christophe Ruggia sur son corps de collégienne à l’occasion de rendez-vous chez lui, les samedis après-midi durant plus de deux ans.
« Et moi je me tends, mon corps se crispe, je me recroqueville dans un coin du canapé », a témoigné à la barre, en colère, la comédienne en première instance. Selon ses déclarations durant l’enquête, Christophe Ruggia la menaçait de retourner « dans le néant » si elle le rejetait, « à cette chose nulle » qu’elle était avant qu’il ne lui permette sa première apparition sur grand écran. « J’ai plus de 5 000 DVD à la maison, plein de livres (…). On parle de livres, de films, de voyages, de son école, de mes projets », a soutenu M. Ruggia lors du procès en appel.
« Il fallait lancer un #MeToo en France et c’est tombé sur moi », s’était défendu Christophe Ruggia
S’il concède une « souffrance authentique » de la part de l’actrice aujourd’hui âgée de 36 ans, le réalisateur attribue ses accusations à une « reconstruction » mentale postérieure de sa part. D’après lui, Adèle Haenel, qui avait à l’époque du mal à décrocher un autre rôle après Les Diables, lui en aurait voulu de ne pas pouvoir tourner dans le film suivant qu’il préparait. « Il y a une reconstruction dans les souvenirs d’Adèle qui va jusqu’à un truc du genre “Ouais, en fait, il voulait coucher avec moi”. »
En première instance, le réalisateur avait dénoncé un « pur mensonge » et démenti catégoriquement les faits depuis leur révélation. Devant le tribunal correctionnel, il a affirmé n’avoir « jamais » été « attiré sexuellement » par l’enfant qui dégageait selon lui une « sensualité débordante ». « Il fallait lancer un #MeToo en France et c’est tombé sur moi », a regretté le cinéaste qui préparait un nouveau film avec des adolescents au moment de la publication de l’article de Mediapart.
Dans son jugement condamnant, par ailleurs, Christophe Ruggia à indemniser Adèle Haenel à hauteur de 15 000 euros pour son préjudice moral et 20 000 pour ses années de suivi psychologique, le tribunal de Paris avait estimé que le prévenu avait profité de son « ascendance » sur l’actrice débutante, « conséquence de la relation instaurée » pendant le tournage du film Les Diables.
A l’occasion des rendez-vous hebdomadaires à son domicile, Christophe Ruggia « continuait d’exercer son autorité de réalisateur, [l’adolescente] n’était pas en mesure de s’opposer ni de s’extraire de cette emprise », ont estimé les juges.
Dans une lettre publiée par Télérama en 2023, elle justifiait son départ du cinéma « pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels, et plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est ».















