L’histoire des encyclopédies est celle d’un champ de bataille. Si les historiens parlent de celle de Diderot [publiée entre 1751 et 1772] comme d’une « machine de guerre », c’est bien parce qu’elle menaçait les orthodoxies de l’Ancien Régime ; elle fut d’ailleurs attaquée par les ennemis des philosophes, par les jansénistes et par les jésuites, et condamnée par toutes les autorités – le pape, le roi et le Parlement de Paris. Elle ne survécut que grâce à la protection secrète du directeur de la Librairie, Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), chargé de veiller à l’octroi des permissions et privilèges des impressions.
Plus tard, pendant les années 1770, une guerre ouverte des encyclopédies éclata – une guerre commerciale, marquées par des batailles acharnées pour dominer le marché entre les entrepreneurs d’une édition in-quarto [dont la taille des pages était proche du format A4 actuel] et ceux d’un in-octavo [la moitié du format A4]. Au siècle des Lumières, l’encyclopédisme était une affaire de conflits, économiques autant qu’idéologiques.
Est-ce qu’une guerre semblable se joue aujourd’hui entre Wikipédia, l’encyclopédie en libre accès créée en 2001 par deux entrepreneurs d’Internet, Jimmy Wales et Larry Sanger, et Grokipedia, l’encyclopédie lancée le 27 octobre par Elon Musk ? Malgré sa réputation de plus riche capitaliste du monde, Musk clame que son objectif n’est pas de faire de l’argent mais d’offrir au public une encyclopédie purgée du biais gauchiste de son rival, qu’il traite de « wokepedia ». Protestant de leur neutralité, les défenseurs de Wikipédia voient dans l’entreprise de d’Elon Musk une attaque venue de l’extrême droite. Cette nouvelle guerre confirme ce qui était évident au XVIIIᵉ siècle et encore souligné au XXᵉ par Michel Foucault (1926-1984) : le savoir et le pouvoir sont inséparables.
Il existe pourtant une différence fondamentale entre les deux « pédias » numériques. Wikipédia est la création collective d’êtres humains. Le savoir qu’elle transmet, élargi et corrigé progressivement par ses utilisateurs, a été accumulé par crowd sourcing, une logique de la foule. Grokipedia, en revanche, est le produit d’une machine, une intelligence artificielle générative, Grok, dont Elon Musk est le propriétaire. Le caractère mécanique du fonctionnement de Grok suffit-il à garantir la neutralité devant l’infini des données ?
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