La mode réserve parfois des surprises, mais il y a aussi des évolutions douces dont on peut observer les développements. Le parcours de Jonathan Anderson appartient à cette seconde catégorie. Sans surprise, LVMH a annoncé lundi 17 mars le départ du designer britannique de Loewe, la marque qu’il pilotait depuis 2013. Dans le groupe de luxe, le quarantenaire est promis à un plus grand destin. Rien n’est officiel à ce jour, mais il est pressenti pour reprendre la direction artistique de toutes les lignes de Dior.
Né en Irlande du Nord en 1984, fils d’un joueur de rugby et d’une professeur, Jonathan Anderson s’est d’abord rêvé acteur. A la Juilliard School, à New York, il se découvre une passion plus grande encore pour le costume. Dès le début de sa carrière dans la mode, ce diplômé du London College of Fashion s’illustre par ses qualités de touche-à-tout : il apprend l’art d’agencer des boutiques en travaillant chez Prada, s’essaie à la mode grand public en collaborant avec Topshop, imagine une collection pour la seconde ligne de Versace, Versus, et fonde sa propre marque, JW Anderson, en 2008.
Le créateur fait figure de jeune espoir de la mode britannique, et ses défilés à la fashion week de Londres font honneur à sa réputation. En 2013, Jonathan Anderson tape dans l’œil de LVMH. Le groupe devient actionnaire de JW Anderson et le nomme directeur artistique de Loewe.
A son arrivée, Loewe est une marque espagnole un peu tombée dans l’oubli. Jonathan Anderson saisit cette opportunité pour la façonner à son image, en faire une version plus raffinée et luxueuse de sa propre marque. Il combine le caractère artisanal de la maison madrilène à ses goûts pour la pop culture, le décalage, l’art contemporain. Ses shows marquent les esprits par la beauté du décor, souvent ponctué d’œuvres, dont celles d’Albert York et de Richard Hawkins.
Coupes inattendues
Il élabore des silhouettes percutantes, où l’œil est happé par des proportions étranges, des imprimés floutés, des coupes inattendues. Certaines pièces, qui font un tabac sur Instagram et les tapis rouges, relèvent plus de la sculpture, comme ces robes rigides semblant gonflées par une bourrasque ou cette gigantesque fleur d’anthurium métallique en guise de tee-shirt. En interview, Jonathan Anderson agrémente sa mode photogénique de références culturelles pointues, ayant recours à des concepts philosophiques ou sociologiques pour éclairer son travail.
Le Britannique n’est pas seulement un habile conteur d’histoires et concepteur d’images, il sait aussi imaginer des produits qui se vendent. Loewe fait partie de ces rares marques à avoir sorti plusieurs sacs à succès en l’espace de quelques années : le Puzzle, le Flamenco ou le Squeeze. Lorsque LVMH a racheté Loewe en 1996, la griffe faisait partie des plus petites de son portefeuille ; aujourd’hui, elle se positionne parmi les « grandes » du groupe, loin devant Givenchy ou Kenzo.
Tant sur le plan de l’image que des ventes, le bilan de Jonathan Anderson chez Loewe est excellent. C’est ce qui lui vaut le soutien public de Bernard Arnault, PDG de LVMH, et de ses enfants qu’il a placés à des postes-clés de l’entreprise. Lors des derniers défilés, plusieurs membres de la famille – dont Delphine Arnault, la présidente directrice générale de Dior – étaient présents pour applaudir Jonathan Anderson.
« J’ai eu le privilège de travailler avec certains des plus grands directeurs artistiques de notre époque, et je considère Jonathan Anderson comme l’un des meilleurs. Ce qu’il a apporté à Loewe va bien au-delà de la créativité. Il a construit un univers riche et éclectique, profondément ancré dans l’artisanat, qui permettra à la maison de prospérer bien après son départ », a résumé Sidney Toledano dans le communiqué de presse annonçant le départ de Jonathan Anderson. A l’époque, l’actuel conseiller spécial de Bernard Arnault avait participé au recrutement de Jonathan Anderson.
Newsletter
« Le goût du Monde »
Voyage, mode, gastronomie, design : le meilleur de l’art de vivre, dans votre boîte e-mail
S’inscrire
De son côté, le créateur n’a jamais caché son ambition de diriger un jour une maison plus grande, c’est-à-dire, chez LVMH, Louis Vuitton ou Dior. Il n’y a pas de place à pourvoir en ce moment chez Louis Vuitton : à la femme, Nicolas Ghesquière a prolongé son contrat de cinq ans en 2024, et Pharrell Williams a été nommé à l’homme en 2023. Mais un renouvellement en 2025 de la direction artistique chez Dior fait sens : Maria Grazia Chiuri est installée au département féminin depuis 2016 et Kim Jones, qui pilotait la collection masculine, a quitté son poste en janvier. S’il revenait à Jonathan Anderson la charge des deux lignes, féminine et masculine, ce serait une première dans l’histoire de la marque.