Jean-Pierre Sergent, né le 11 août 1940 à Plouézec (Côtes-d’Armor), où ses parents s’étaient réfugiés pour s’éloigner de la ligne du front, est décédé le dimanche 14 juillet 2024, à l’âge de 83 ans.
Il grandit à Rouen dans une famille de la petite bourgeoisie. Sa mère est institutrice et son père professeur aux Beaux-Arts et cinéaste amateur. Puis, Jean-Pierre Sergent est introduit au monde en 1961, lors de la sortie de l’emblématique film de Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d’un été, dans lequel il apparaît au côté de Régis Debray, son camarade de classe préparatoire, et Marceline Loridan, avec qui il restera lié toute sa vie.
Ce que l’on ne voit pas à l’image, c’est que cet étudiant en philosophie âgé de 20 ans, sensible et tourmenté, appartient au réseau Jeanson d’aide au FLN et qu’il risque dix ans de prison. Son engagement se poursuit sur un autre terrain. En 1962, il coréalise, avec Marceline Loridan, Algérie, année zéro, dont la photographie est assurée par le caméraman Bruno Muel. Sergent et Muel réitèrent trois ans plus tard avec Rio Chiquito, un documentaire sur des rebelles colombiens qui, six mois après le tournage, donnent naissance à la guérilla des FARC.
Cinéma et militantisme vont de pair : quand il ne tourne pas, Jean-Pierre donne des coups de main au sein du réseau anti-impérialiste d’Henri Curiel. On ne se refait pas.
En 1968, tandis qu’étudiants et ouvriers espèrent vivre une révolution, le célèbre cinéaste Joris Ivens l’embarque pour le Vietnam, où ils doivent documenter une guerre qui déjà s’enlise. L’intensité du conflit les entrave, ils se rabattent sur le Laos. Déçu, Jean-Pierre rentre à Paris, où la « récréation est terminée ». Le film, intitulé Le Peuple et ses fusils, est monté et écrit collectivement avec des militants de la gauche prolétarienne. Il ne sera pas diffusé.
Des membres du Front de libération de l’Erythrée lui demandent de venir filmer leur lutte. Jean-Pierre refuse et remise la caméra. « Je crois que j’ai cessé de me raconter des histoires concernant mes capacités d’action sur le monde à la fin des années 1960 », nous confiera-t-il un demi-siècle plus tard.
« Le souci du monde »
Trop de conflits, d’armes, de violence. Et de virilité destructrice, qu’il voit tant chez les militants et rebelles que chez les grands reporters portant des gilets à poches. On n’améliore pas la marche du monde en le mettant à sac. A l’époque où il a rencontré Marceline Loridan, Jean-Pierre a fait la connaissance de nombreux fils de déportés, dont Georges Perec. De ces amitiés, il a retenu l’idée que la génération en place doit réparer les erreurs de la précédente. Jean-Pierre s’approprie cette tradition judaïque qu’il traduit dans ces termes : « avoir le souci du monde ».
Il vous reste 42.45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.