Auteur de plusieurs ouvrages, Jean-Marie Guéhenno enseigne les relations internationales à l’université Columbia, à New York. Il a été secrétaire adjoint au département des opérations de maintien de la paix des Nations unies, avant d’être nommé à la tête de l’International Crisis Group de 2014 à 2018, une ONG spécialisée dans la prévention des conflits.
Quelles sont, selon vous, les conséquences de l’élection de Donald Trump sur les relations internationales ?
Donald Trump a écrit un livre intitulé The Art of the deal [L’Art de la négociation] en 1987. Son programme, c’est lui-même, ce qui est à la fois rassurant et inquiétant. Il est davantage un « Big Man », un « homme fort » comme on en a vu dans nombre de pays, qu’un véritable fasciste. Le fascisme est une idéologie du XXe siècle. Trump n’a pas vraiment de programme structuré, ni idéologique. Il est possible qu’il fasse ce qu’il dise, mais il est aussi possible qu’il se contente de l’effet d’annonce de son programme. Lors de son premier mandat [2017-2021], il avait, par exemple, promis un grand mur le long du Mexique. Il n’en a, en fait, construit que quelques kilomètres.
Sur l’Ukraine, qu’attendez-vous de l’administration Trump ?
Trump a dit qu’il réglerait le problème directement avec [le président russe Vladimir] Poutine, c’est-à-dire, par-dessus la tête des Européens et des Ukrainiens. Poutine va sans doute laisser venir. Mais une partie de l’entourage de Trump lui dira : « Si vous laissez tomber l’Ukraine, c’est un mauvais signal vis-à-vis de la Chine. » La question est de savoir si Trump considère que l’Ukraine a plus d’importance stratégique pour les Etats-Unis que le Vietnam ou l’Afghanistan n’en ont eue à une certaine époque. On ne peut pas exclure un scénario assez brutal. Un autre scénario consisterait à mettre les Européens face à leurs responsabilités. « Vous voulez empêcher une invasion russe de l’Ukraine ? Envoyez-y vos troupes pour dissuader la Russie ! », pourrait dire Trump. Quel pays européen serait alors prêt à le faire ? Sans doute la Pologne, à condition qu’elle ne soit pas seule, mais les autres seraient-ils prêts à une confrontation directe avec la Russie ? Je suis loin d’en être certain. Trump pourrait donc mettre les Européens face à leurs contradictions.
Si les Etats-Unis réduisaient drastiquement leur aide à l’Ukraine, les Européens sont-ils prêts à prendre le relais ?
C’est une question à la fois politique et opérationnelle. Les Européens ne disposent pas des mêmes capacités que les Américains en ce qui concerne l’observation et la surveillance. Le président [Emmanuel Macron] a parlé martialement d’« économie de guerre », mais cela suppose que les industriels aient suffisamment de visibilité pour investir dans de nouvelles usines. Cela commence à se faire, mais il faudrait sans doute en faire bien plus. Se pose alors le problème de la volonté politique. C’est là qu’apparaît une possible division européenne. Une des questions-clés est l’Allemagne. Quelle leçon va tirer Berlin de l’arrivée d’une nouvelle administration Trump ? Cela sera décisif, car, sans l’Allemagne, il sera très difficile de mobiliser l’Union européenne.
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