Marie-Aude Vieira a perdu l’été dernier l’amour de sa vie Serge, Bocuse d’Or et chef deux étoiles, emporté à 46 ans par un cancer fulgurant.
Malgré la sidération et la tristesse, elle tient désormais seule les commandes de leur établissement du Cantal, comme elle le lui avait promis.
Une équipe de « Sept à Huit » l’a suivie.
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Sept à huit
« Rien n’est impossible ». Marie-Aude a fait sienne la devise de son mari, Serge Vieira, chef cuisinier titulaire de deux étoiles au Guide Michelin, emporté à 46 ans par un cancer fulgurant en juillet dernier. Alors que depuis quinze ans, ce couple inséparable, faisait battre le cœur du restaurant portant le nom du chef niché dans un château du XIVᵉ siècle au beau milieu du Cantal, c’est seule qu’elle a pour la première fois ouvert l’établissement à la fin du mois dernier.
Derrière l’histoire du destin brisé de Serge Vieira, un chef au sommet de sa carrière emporté en quelques mois par la maladie, cette réouverture sous le signe de l’amour et de l’amitié raconte l’histoire de cette femme, mère de ses deux enfants, qui neuf mois après avoir perdu l’amour de sa vie se bat pour faire vivre ce qu’elle a construit avec lui. Elle raconte aussi l’engagement absolu d’Aurélien Gransagne, le meilleur ami de Serge Vieira depuis 25 ans, qui a abandonné ses projets pour prendre la place du capitaine. C’est enfin l’histoire du défi d’une brigade orpheline, qui se bat pour conserver ses deux étoiles, prouvant ainsi que la vie peut continuer même quand tout semble s’écrouler. « J’ai cette image du gouffre, tu tombes, tu tombes, tu tombes, et à un moment il faut réussir par quelques petites pierres à te rattraper », témoigne Marie-Aude Vieira dans le reportage de « Sept à Huit » à retrouver en tête de cet article.
« J’en voulais à la terre entière »
Le jour du décès de son époux, elle a assuré le service au restaurant, comme un hommage à ce qu’ils avaient bâti ensemble. C’est en 2009, que le couple a fait construire dans le château du Couffour son établissement, au sein du petit village de Chausey, en Auvergne, profitant de la soudaine renommée de Serge Vieira, qui venait alors de recevoir le Bocuse d’Or, l’une des récompenses les plus prestigieuses dans le monde de la gastronomie. Fils d’un ouvrier portugais, le chef était à l’époque devenu le plus jeune lauréat de l’histoire, à 26 ans. Très rapidement après l’ouverture de l’établissement, le couple a décroché une première étoile, puis une seconde.
Cette réussite professionnelle, le couple la doit en partie à l’immense amour qui les lie. Marie-Aude, fille d’agriculteur, a rencontré Serge Vieira à 18 ans, alors qu’elle sortait de l’école hôtelière en Touraine. « On s’est tout de suite compris. On s’est tout de suite entendus. ( ) On est arrivé dans ce monde de la gastronomie qui nous fascinait tous les deux. On avait plein de points communs », explique celle qui a vécu comme une profonde injustice l’annonce du cancer de l’estomac de son époux. « J’ai dit : mais qu’est-ce qu’on a fait ? On a tout bien réussi, on était trop heureux. Mais ce n’est pas possible, il n’a jamais fumé de sa vie, il ne buvait pas d’alcool, on mangeait sainement, il faisait du sport. Tu te dis : qu’est-ce qu’on a fait ? Moi, j’en voulais à la terre entière sur ce coup-là », se remémore-t-elle, encore abasourdie.
« Il y a juste à être à sa place »
Pour ce début de saison sans son époux, elle a réuni à la veille de la réouverture toute la nouvelle équipe du restaurant, avec comme personnage principal de ce nouveau chapitre, Aurélien, l’ami de toujours du couple. Serge, Marie-Aude et ce dernier se sont rencontrés à vingt ans lors d’un stage professionnel. Avant son décès, le chef de renom a confié à Aurélien sa cuisine, mais surtout sa famille. Célibataire et sans enfant, ce dernier prend tous ses repas auprès d’eux dans leur maison, au-dessus du restaurant. « Il y a une chose qui était très importante pour Serge, il m’a demandé d’être présent comme un deuxième papa, mais je ne le fais pas parce qu’il me le demande, mais parce que je les aime, je ne le remplacerai pas, j’essayerai d’être présent tout au long de leur vie pour les aider au maximum », explique celui que Maëlle, 7 ans et Mathis, 11 ans appellent depuis toujours « tonton ».
« Il n’y a pas de sacrifice, il y a juste à être à sa place, et je pense que la mienne est là aujourd’hui », ajoute le fidèle ami et second du chef étoilé qui a donc pris la tête de la brigade.
Aurélien avait l’habitude de faire le marché avec Serge. Les deux amis partageaient cette façon singulière de créer toujours au gré des saisons. Aujourd’hui, pour garder ses deux étoiles, le nouveau chef doit réussir un numéro d’équilibriste. Il lui faut respecter l’esprit d’une maison qui porte encore le nom de son ancien chef, tout en imposant sa propre personnalité. Pour cela, il fait des compromis. Il continue notamment d’appliquer la méthode Vieira : aucun plat signature et des menus qui changent toutes les trois semaines et se peaufine jusqu’à la dernière minute. Il a également remis à la carte quelques plats que faisait Serge, comme ces asperges cuites minutes accompagnées d’une huitre gratinée. Mais il y a aussi ajouté ses propres créations comme un dessert pommes, meringue, crème au poivre qu’il a commandé à son chef pâtissier.
« Je suis sûre que de là-haut, il est fier de ce qu’on a décidé de continuer », confie Marie-Aude, dont beaucoup d’habitués étaient venus saluer la détermination, le soir de la réouverture, le 29 mars dernier, dans une salle pleine. Dix jours plus tôt, à Tours, c’est le jury du guide Michelin qui en fait de même en révélant que le restaurant, malgré le changement de chef, conservait pour cette année si particulière ses deux étoiles.