FRANCE 5 – MARDI 14 JANVIER À 21 H 05 – DOCUMENTAIRE
A l’occasion des 50 ans de la loi Veil, promulguée le 17 janvier 1975, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) lance, sur son site, un recueil de témoignages inédits autour du vécu ordinaire de l’avortement avant sa légalisation en France. Recueil que Léa Veinstein a mis en récit dans un livre à paraître (le 22 janvier, dans une coédition INA-Flammarion) et autour duquel Julie Auzou a imaginé un podcast.
Vaisseau amiral du projet, diffusé en prime time sur France 5, le documentaire réalisé par Sonia Gonzalez s’ouvre sur une image d’archives : le 26 novembre 1974, devant une Assemblée nationale presque exclusivement composée d’hommes, Simone Veil défend le droit à l’avortement, qui est alors un délit pénal. Un drame aussi, comme le rappelle celle qui est alors ministre de la santé sous Valéry Giscard d’Estaing.
Enrichi d’archives et de films générationnels (Mireille Darc dans Galia, de Georges Lautner, 1966), Il suffit d’écouter les femmes est essentiellement nourri des témoignages d’une quinzaine d’entre elles, issues de tous les territoires et de tous les milieux sociaux, qui ont vécu l’avortement clandestin entre 1955 et 1975. Elles s’appellent Michelle, Yvelise, Marie-France, Denise. Elles se souviennent et parlent. Elles disent la peur, la solitude, la honte, la détermination, aussi. Elles disent les pièces sans fenêtre et les tables de cuisine en Formica. Le charcutage : « Un curetage à vif, c’est abominable : on vous griffe le ventre », dit l’une d’entre elles.
Le documentaire souligne aussi l’ampleur des violences physiques, psychologiques et parfois sexuelles que ces femmes ont eu à subir. Pourtant, et malgré les douloureux souvenirs, rien ne les ferait taire. Face caméra (elles ont été enregistrées chez elles, par une équipe entièrement féminine), elles soulignent l’importance de transmettre aux générations futures ce à quoi ressemblait la vie quand avorter était interdit.
Ajoutons que l’ancienne garde des sceaux Christiane Taubira évoque à cette occasion son avortement clandestin et combien est puissante la lecture chorale de L’Evénement, dans lequel Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature, racontait son avortement en 1964. Disons aussi combien il est émouvant de voir l’investissement de la comédienne Ana Girardot, qui prête sa voix au récit, et ce alors que l’une de ses grands-mères est morte des suites d’un avortement clandestin.
« Etre dans le vécu »
Mais il faut rendre à César ce qui revient à… Isabelle Foucrier, productrice et coordinatrice du projet à l’INA. Tout a commencé un lundi de mars 2022 : « C’est après le décès d’une femme en Pologne suite à un refus d’IVG, et à l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade aux Etats-Unis que j’ai vraiment pris conscience que ce qui était de l’histoire ici ne l’était pas ailleurs. Plus près de moi, j’ai brutalement compris que la génération de ma mère, née en 1947, était mortelle, ce qui a renforcé ce sentiment d’urgence. Enfin, j’avais l’intuition que l’histoire de l’avortement clandestin avait le plus souvent été racontée de deux manières : par le prisme de l’action militante et sous l’angle de la législation, incarnée par Simone Veil. Il fallait recueillir le concret, le quotidien, le vécu ordinaire, prémilitant, de la clandestinité. Etre dans le vécu plus que dans le discours, et ainsi couper l’herbe sous le pied au mouvement provie. »
Isabelle Foucrier s’entoure alors de l’historienne Bibia Pavard – « une femme de ma génération, soit la première à avoir joui de ce droit » –, qui a elle-même constitué un comité scientifique transdisciplinaire, composé d’historiens, de sociologues, de gynécologues, etc. En parallèle, une équipe éditoriale dirigée par Eve Minault a été constituée, et un appel à témoins a été lancé sur les réseaux sociaux et dans la presse locale. Les réponses et propositions de témoignage ont alors afflué en nombre et de partout en métropole.
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En revanche, comme le précise Isabelle Foucrier, « nous nous sommes heurtées en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion et en Guyane à un silence assourdissant. Nous avons réussi à convaincre cinq personnes de parler, et c’est de Martinique qu’est venue l’unique demande d’anonymat ».
Quoi qu’il en soit, ce recueil de témoignages inédits constitue un objet précieux et essentiel. Parce qu’il rappelle qu’il aura fallu attendre 1975 pour que l’avortement soit légal en France, 1982 pour qu’il soit remboursé et 2024 pour qu’il trouve sa place dans notre Constitution. Parce que, surtout, il nous rappelle qu’il est encore temps d’écouter les femmes n’ayant pas raconté leur histoire.
Il suffit d’écouter les femmes, documentaire de Sonia Gonzalez (Fr., 2024, 90 min). Diffusé sur France 5 et disponible en replay sur France.tv jusqu’au 6 février. A partir des entretiens collectés par l’Institut national de l’audiovisuel depuis 2022.