Mars 1989, à Marseille, Gabriel Domenech (1920-1990), membre du Front national, obtient 13,5 % des voix aux élections municipales. Quelques semaines plus tard, en juin, son parti frôle les 12 % aux élections européennes. Invité à créer un spectacle dans la cité phocéenne en juillet 1990, l’auteur de théâtre Armand Gatti (1924-2017) a pris acte. Pas question de faire l’autruche devant la montée du Front national.
Gatti n’est pas un militant, mais un dramaturge qui manie le verbe avec une aisance éblouissante. Ses armes, ce sont ses mots. Il les range en ordre de bataille et fait jouer par des comédiens stagiaires Le Cinécadre de l’esplanade Loreto reconstitué à Marseille pour la grande parade des pays de l’Est. Ce titre à rallonge est truffé d’allusions historico-politiques. Loreto renvoie à la place milanaise où les corps de Mussolini, sa femme et deux fidèles furent exposés à la foule après leur exécution en avril 1945.
Jean-Jacques Hocquard, collaborateur de Gatti pendant cinquante ans, poursuit l’explication : « Il faut se souvenir qu’avant de fonder, en 1921, le Parti national fasciste Mussolini a été syndicaliste et membre du Parti socialiste italien. Ne pas oublier non plus qu’entre 1988 et 1990 la chute des régimes communistes venait de mener les pays de l’Est vers la droite. Ce sont ces bascules individuelles et collectives qu’interrogeait la pièce. » D’une formule concise, Stéphane Gatti, fils de l’écrivain, résume l’ambition paternelle : « Il a dressé à Marseille un inventaire des fascismes. »
Jeune résistant
Que ferait aujourd’hui Dante Sauveur Gatti (dit « Armand ») devant un Rassemblement national aux portes du pouvoir ? « La même chose ! », répond Stéphane Gatti. Et peut-être bien que le poète, dramaturge, scénariste, metteur en scène et réalisateur saurait par quel geste artistique, quelle forme théâtrale, appréhender la séquence que traverse la France depuis le 9 juin.
Né d’un père anarchiste, cet homme au verbe haut, si imaginatif qu’il confinait parfois au délire, entre dans la Résistance française dès 1942. Il est arrêté, condamné à mort, gracié en raison de son jeune âge. En juillet 2011, une enquête du Monde révèle qu’il n’a jamais été (contrairement à ses dires) déporté au camp allemand de Neuengamme. Il en conviendra. Cet épisode malheureux ne doit pas faire oublier la suite de son engagement, de bout en bout exemplaire, contre le nazisme (qu’il avait, rappelle Jean-Jacques Hocquard, rebaptisé le « full fascisme »). Après s’être évadé du camp de travail où il était emprisonné, le maquisard rejoint les Forces françaises libres à Londres en 1944 et devient parachutiste dans l’armée de l’air. A la Libération, on le décore.
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