Professeur agrégé d’histoire à l’université Paris-Sorbonne, puis à l’Inalco, Henry Laurens a été, de 2001 à 2003, directeur d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain (Cermoc) à Beyrouth, puis directeur de l’Institut français du Proche-Orient. En 2003, il devient titulaire de la chaire Histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France. Il est l’auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages sur le Proche-Orient, dont La Question de Palestine en 5 tomes de 1999 à 2015 chez Fayard. En 2022, il a publié Le Passé imposé (Fayard).
A quel moment l’émancipation des juifs en Europe a-t-elle eu lieu, et quelle fut son incidence sur l’émergence d’un nationalisme juif ?
En 1791, la Constituante émancipe les juifs en France sous le principe : « Tout leur reconnaître en tant qu’individu, tout leur refuser en tant que nation (communauté). » Dans l’Europe de l’Ouest, cette émancipation n’est totale qu’à partir des années 1860. En Europe orientale, la nation se définit à partir d’une langue, d’une religion et d’un Etat dans le passé. Dans ce système, les juifs n’ont pas leur place. Ils ont plusieurs possibilités : partir vers l’Europe de l’Ouest et les Amériques, s’enfermer dans l’orthodoxie religieuse, faire la révolution (marxisme), adopter un nationalisme non territorial socialiste (Bund) ou non.
Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde : 40 cartes pour comprendre le conflit Israël – Palestine », juillet 2024, en vente dans les kiosques ou par Internet en se rendant sur le site de notre boutique.
Autre solution, le sionisme qui reprend la définition en trois composantes : une religion (le judaïsme), une langue (à inventer) et l’Etat (qui remonte à Hérode). Tous ces mouvements de population se comprennent dans le cadre de la première mondialisation, quand la combinaison du chemin de fer et du bateau à vapeur permet d’aller en Amérique ou au Proche-Orient.
A la même période, quelle est la situation des Arabes dans l’Empire ottoman ?
Les papiers d’identité ottomans comprennent la citoyenneté ottomane et l’appartenance religieuse, mais sans indicateurs ethniques, même si la plupart des communautés religieuses chrétiennes tendent à se définir en nation. A la fin du XIXe siècle, on note une multiplication des références identitaires chez les Arabes ottomans : régionalisme (Syriens, Irakiens), recours au passé redécouvert (phénicisme au Liban, pharaonisme en Egypte, syrianisme au Levant et arabisme). « Arabe » s’entend dans deux sens : soit il signifie une généalogie se rattachant aux tribus de la péninsule Arabique, soit il renvoie à celui qui parle l’arabe.
Il vous reste 86.94% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.