Ce samedi d’hiver, à Rome, dans les fossés du château Saint-Ange, la forteresse des papes construite sur le mausolée de l’empereur Hadrien, la science-fiction a rencontré la fantasy. Le 16 décembre 2023, Elon Musk, homme le plus riche de la planète et entrepreneur désireux d’en coloniser d’autres, était le précieux invité vedette d’Atreju, la fête annuelle du parti de la présidente du conseil nationaliste Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia. La manifestation que, jeune militante, Mme Meloni avait lancée en 1998, doit son nom à un personnage de L’Histoire sans fin, roman fantastique de l’auteur allemand Michael Ende, paru en 1979.
La famille politique de Giorgia Meloni, longtemps reléguée aux marges de la vie publique italienne, compte, en effet, dans son héritage hétéroclite un goût immodéré pour les récits épiques qu’offre ce genre littéraire, traversés de luttes manichéennes et revus à travers un prisme traditionaliste. Curieusement, la manifestation dont le nom se rapporte à une certaine révolte nostalgique contre la modernité accueillait avec fracas un milliardaire transhumaniste aux entreprises pionnières sur les divers fronts de l’innovation, de l’espace aux implants neuronaux, en passant par les véhicules électriques.
Qu’importe, Giorgia Meloni et Elon Musk s’étaient déjà découvert de nombreux points communs. La présidente du conseil se trouvait au premier rang face à la scène où le milliardaire exposait ses vues au fil d’un laborieux entretien avec le journaliste Nicola Porro, directeur adjoint du quotidien de droite Il Giornale. Agitant son poing levé et porté par un public exalté, M. Musk y dénonçait, après un développement sur l’exploration interplanétaire et à la plus grande satisfaction des militants d’extrême droite, le « virus woke », les écologistes responsables d’une « perte d’espoir » dans l’avenir, l’immigration illégale, la tyrannie du politiquement correct et une Europe trop bureaucratique et normative.
La présidente du conseil avait donc de quoi se réjouir : l’un des hommes les plus puissants du monde venait déclarer dans sa capitale qu’il avait les mêmes ennemis qu’elle. Tant pis si certains des enfants de M. Musk ont été conçus grâce à la gestation pour autrui, dont la majorité au pouvoir à Rome a fait depuis « un délit universel ». Les obsessions natalistes du milliardaire sont en effet les bienvenues dans un pays au déclin démographique inéluctable. Mais, surtout, la relation privilégiée que Mme Meloni était en train de construire avec lui allait fournir à la présidente du conseil en quête d’influence internationale une passerelle supplémentaire, et non des moindres, vers le monde politique de l’ancien président des Etats-Unis, Donald Trump, dont elle espère le retour à la Maison Blanche.
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