Quand il s’agit de peindre l’Europe, le document de stratégie de sécurité nationale, publié le 5 décembre par la Maison Blanche, surpasse les tourments de l’enfer peints par Jérôme Bosch (1450-1516). L’Europe serait une sorte de continent « woke » en cours de « grand remplacement ». Ses politiques migratoires laxistes la « transforment », et elle est bien partie pour être « méconnaissable dans vingt ans ou moins » ; elle a perdu sa « confiance civilisationnelle », voire « son identité occidentale » ; elle est sous l’emprise d’idéologies « désastreuses » comme le « changement climatique » et le « zéro émission nette » ; etc.
Si l’on en croit ce qui s’est passé au cours de l’année écoulée, pourtant, l’Europe est très loin de cette fantasmagorie MAGA (Make America Great Again). La réalité, c’est que les « partis patriotes » que le rapport propose d’encourager ont déjà un pied dans la cabine de pilotage et qu’ils influencent les politiques. Ils sont en progression dans les scrutins nationaux ainsi qu’aux élections européennes de 2024, et la frontière entre la droite et l’extrême droite s’estompe rapidement.
Prenez l’Union européenne (UE), prétendu temple des « idéologies désastreuses » dénoncées par la Maison Blanche. Le 26 novembre, les eurodéputés de droite et d’extrême droite se sont alliés pour repousser l’application de la loi contre la déforestation. Mardi 16 décembre, ils se sont de nouveau joints pour voter le premier texte « omnibus », qui vient détricoter le Green Deal, le pacte vert européen de 2021. Les obligations des entreprises en matière de devoir de vigilance et de transparence sont assouplies, tant pis pour la transition énergétique. Et bien d’autres « omnibus » visant à « simplifier » (c’est-à-dire affaiblir) le pacte vert sont dans les tuyaux.
Vassaliser l’Europe
De même, sous la pression de l’extrême droite, la politique migratoire européenne est en cours de durcissement accéléré. Lundi 8 décembre, les Vingt-Sept ont adopté plusieurs textes facilitant les expulsions et rendant possible l’ouverture de centres de rétention – délicatement rebaptisés « hubs de retour » – dans des pays tiers, en suivant l’exemple de l’Italie de Giorgia Meloni, qui l’a déjà fait en Albanie. L’UE va aussi autoriser le renvoi de migrants irréguliers vers des pays dont ils ne sont pas forcément originaires, mais qui sont considérés comme « sûrs ».
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