Du lit clos au godemiché, de la psyché au téléphone portable : la nouvelle exposition du Musée des arts décoratifs (MAD), à Paris, propose une rare exploration de nos jardins secrets, du XVIIIe siècle à nos jours. Plus de 470 pièces – parfois si familières ou banales qu’elles sont peu présentes dans les musées – sont réunies par Christine Macel, conseillère scientifique et artistique du MAD et commissaire, avec Fulvio Irace, historien du design et de l’architecture, de « L’Intime, de la chambre aux réseaux sociaux », à voir jusqu’au 30 mars 2025.
Dès l’entrée, un trou de serrure géant – scénographie de l’architecte italien Italo Rota (1953-2024), mort sans l’avoir vue – donne au public le sentiment d’épier par le judas. La visite débute dans l’aile gauche de la nef par la « chambre à coucher », un terme qui apparaît au XVIIIe siècle avec le développement, chez les plus aisés, d’une pièce individualisée vouée au sommeil, au lieu du lit d’alcôve. Elle se meuble bientôt d’une coiffeuse, d’une commode, d’un chiffonnier, ainsi que de « carafes, bidets, miroirs, ces objets de toilette renvoyant aux premières formes du design de l’intimité », note Fulvio Irace.
La chambre devient un espace de beauté où les femmes peuvent passer jusqu’à deux heures à leur toilette. A la fin du XIXe siècle se répand l’usage de lieux d’aisances, à la suite d’« une domestication des pulsions, une hausse du contrôle social et du seuil de la pudeur qui n’avait guère de signification jusqu’alors », résume Christine Macel.
Après le bourdaloue pour dames – pot richement décoré aux allures de saucière, ancêtre du pisse-debout – ou la chaise percée – une assise avec des piles de livres en trompe-l’œil, cachant un pot de chambre –, voilà le bidet : cet ustensile, inventé en France au XVIIIe siècle pour se laver les parties intimes entre deux bains, a affolé l’Europe, car associé au libertinage. S’ensuivent dans l’exposition les W.-C. hautement technologiques japonais ou des urinoirs féminins, dont le Lady P de 1999, qui aura peu vécu.
Sous la nef du musée, 25 chefs-d’œuvre du design des années 1950 à aujourd’hui témoignent de nouvelles façons de faire salon. D’un côté, l’envie de se rassembler et de partager son intimité s’exprime à travers des meubles plutôt au ras du sol et modulables : de l’articulé Siège Déclive (1968), de Pierre Paulin, à l’espace multi-usages Tawaraya Ring (1981), du mouvement Memphis, en passant par le canapé-habitacle Bazaar (1969-1970), de Superstudio.
De l’autre apparaît le besoin d’un repli protecteur incarné par la bulle douillette et futuriste Sunball (1972), de Günter Ferdinand Ris et Herbert Selldorf, dont le capot s’ouvre sur un lit et ses deux tablettes, ou par le Lit clos (2000), des frères Bouroullec, conçu comme une cabane haut perchée, quoique ouverte sur l’extérieur, pour s’isoler dans la maison.
Il vous reste 52.05% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.