Une première mondiale qui pose de nombreuses questions sur le plan éthique. Une équipe de chercheurs internationaux a récemment annoncé avoir utilisé des cellules cutanées adultes pour créer des ovules humains portant l’ADN de ces cellules.
Dans un article publié dans la revue Nature Communications et relayé par NPR et CNN, les chercheurs expliquent leur méthode de travail et affirment avoir réussi à créer plusieurs ovules fonctionnels en utilisant cette technique révolutionnaire.
Un noyau prélevé dans une cellule de peau, puis transplanté dans un ovule
Alors que la plupart des recherches actuelles en la matière tentent de convertir des cellules adultes provenant de la peau ou du sang en cellules souches, puis en gamètes humains, les auteurs de l’étude ont opté pour une approche radicalement différente.
Comme l’explique CNN, celle-ci consiste ainsi à « prélever le noyau (la partie de la cellule contenant la majeure partie de son information génétique) d’une cellule cutanée humaine ordinaire et à le transplanter dans un ovule d’une donneuse dépourvu de son propre noyau ».
Une technique déjà utilisée pour cloner la brebis Dolly
Cette forme de transplantation de l’ADN repose notamment sur un procédé qui avait été utilisé pour cloner la brebis Dolly dans les années 1990. Les scientifiques retirent dans un premier temps la majeure partie de l’ADN de l’ovule de la donneuse et le remplacent ensuite par celui provenant de la cellule de peau d’une autre femme.
Reste ensuite à dupliquer et à stabiliser les ovules ainsi obtenus, notamment au niveau du nombre de chromosomes. Pour ce faire, les chercheurs ont employé un processus baptisé « mitoméiose », imitant la division cellulaire naturelle pour éliminer les chromosomes surnuméraires.
82 ovules fonctionnels produits
En mettant bout à bout ces étapes successives, les auteurs de l’étude, provenant pour la plupart de l’Université de Portland, ont réussi à produire 82 ovules fonctionnels, qu’ils ont ensuite fécondé in vitro avec des spermatozoïdes fonctionnels.
Environ 9% des embryons obtenus ont ensuite évolué dans les jours suivants pour atteindre le stade de blastocyste, c’est-à-dire le moment de leur croissance où ils peuvent théoriquement être transférés dans l’utérus d’une femme.
Des embryons en voie de développement, mais présentant des anomalies
Toutefois, comme le précise NPR, « aucun de ces embryons n’aurait pu être implanté dans un utérus pour poursuivre son développement. En effet, tous présentaient encore des anomalies génétiques empêchant un développement sain. »
Selon le Dr Paula Amato, co-autrice de l’étude, la plupart des anomalies relevées sont d’ordre chromosomiques et impliquent que ces embryons « n’auraient pas pu donner naissance à des bébés en bonne santé » et que « leur développement se serait probablement arrêté prématurément ».
« Des recherches supplémentaires sont nécessaires »
Si les chercheurs sont bel et bien parvenus à créer des ovules fécondables à partir de cellules cutanées, ceux-ci restent pour l’heure non viables et comme le soulignent les auteurs de l’étude, « des recherches supplémentaires sont nécessaires pour garantir l’efficacité et la sécurité avant de futures applications cliniques ».
« C’est un pas en avant significatif », se félicite cependant Shoukrat Mitalipov, l’un des membres de l’équipe de recherche, persuadé que le procédé pourrait à terme donner l’opportunité de procréer à des femmes souffrant de problèmes de fertilité. « Cette technologie permettrait à beaucoup de ces femmes d’avoir génétiquement leurs propres ovules et d’avoir un enfant génétiquement lié », affirme le biologiste, cité par NPR.
Quelles perspectives en termes d’application clinique ?
« Je pense qu’il s’agit d’une étape très importante vers la possibilité d’utiliser des cellules cutanées pour produire des ovules destinés à la reproduction humaine, une fois que nous aurons prouvé leur innocuité et leur efficacité », juge pour sa part le Dr Sigal Klipstein, endocrinologue américaine spécialiste de la reproduction, qui n’a pas participé à l’étude.
« Cela permettrait aux femmes plus âgées, ou aux femmes n’ayant pas d’ovules pour quelque raison que ce soit (par exemple, un traitement anticancéreux antérieur), d’avoir un enfant génétiquement apparenté, abonde le Dr Paula Amato, citée par CNN. De plus, cela permettrait aux couples de même sexe (deux hommes par exemple) d’avoir un enfant génétiquement apparenté aux deux partenaires. »
Une révolution scientifique
Au-delà des potentielles applications cliniques, cette technique est également prometteuse en termes d’apport aux connaissances scientifiques. « Bien qu’il s’agisse encore d’un travail de laboratoire très précoce, il pourrait à l’avenir transformer notre compréhension de l’infertilité et des fausses couches, et peut-être un jour ouvrir la voie à la création de cellules semblables à des ovules ou à des spermatozoïdes pour celles qui n’ont pas d’autres options », résume Ying Cheong, professeure de médecine reproductive à l’Université de Southampton, citée par CNN.
Selon cette dernière, qui n’a pas participé à l’étude, il s’agit en tout cas d’une véritable révolution dans le domaine de la biogénétique : « Pour la première fois, des scientifiques ont montré que l’ADN de cellules ordinaires du corps peut être placé dans un ovule, activé et amené à réduire de moitié ses chromosomes, imitant ainsi les étapes spéciales qui créent normalement les ovules et les spermatozoïdes. »
Un procédé qui pourrait être utilisé pour créer des humains « améliorés »
En ouvrant complètement le champ des possibles, ce procédé révolutionnaire pose par ailleurs de nombreuses questions philosophiques. « Certains pourraient tenter de l’utiliser à des fins soi-disant d’amélioration – pour obtenir des embryons plus forts, plus athlétiques, plus doués en musique, plus doués en mathématiques ou plus intelligents, imagine Hank Greely, bioéthicien à l’Université de Stanford, cité par NPR. Certains voient cela comme une perspective terrible et d’autres la voient comme une perspective merveilleuse. »
Un autre bioéthicien, Ronald Green, estime pour sa part que cette technique pourrait permettre à des individus mal intentionnés de voler une cellule de peau d’une autre personne, par exemple une célébrité, et de faire un bébé avec son ADN à son insu ou sans sa permission. « On pourrait avoir des bébés Taylor Swift partout dans le monde, illustre le professeur du Dartmouth College. C’est une possibilité théorique, mais pas insensée. Cette technologie est très prometteuse, mais elle soulève de nombreuses questions éthiques complexes. »







