POLITIQUE – Quel succès ! Une salle des Quatre Colonnes remplie de micros et de caméras, des tribunes de presse pleines à craquer, des invités obligés de patienter de longues minutes avec leur carte d’identité en main… À défaut d’avoir complètement convaincu l’assistance lors de sa déclaration de politique générale (DPG) ce 14 janvier, François Bayrou aura au moins réussi à peupler l’Assemblée.
François Bayrou à l’Assemblée : Banque de la démocratie, proportionnelle… Ce qu’a promis le Premier ministre
Sur les bancs, l’ambiance est bon enfant. Des rires, des accolades, des saluts de loin. Jérôme Guedj (PS) serre la main du Premier ministre. Les désaccords politiques reprennent vite le dessus. François Bayrou s’attaque au « surendettement » de l’État, qui aurait bondi « de 10 points sous François Hollande ». Assis à quelques mètres, l’ancien Président ne bronche pas. Et laisse ses proches s’agiter. Philippe Brun, à côté, se lève pour protester.
Soudain, le discoureur marque un temps de pause. De longues secondes passent. « On va en rester là, c’était déjà trop long », moque tout haut le député LFI Hadrien Clouet, tandis que François Bayrou n’en est qu’à sa treizième minute de parole. « On s’ennuie », moufte une écologiste. Quand le Premier ministre affirme que son gouvernement illustre « l’union des grandes sensibilités du pays », l’Insoumise Clémence Guetté s’étrangle : « N’importe quoi ! »
Jusque-là plutôt taiseux, les proches de Jean-Luc Mélenchon se réveillent. Ils huent le nom de Manuel Valls, qu’a tenu à « remercier » François Bayrou pour son travail aux Outre-mer, ils fustigent Élisabeth Borne, nommée à l’Éducation nationale, qui « n’y connaît rien » (comme elle l’a elle-même reconnu).
« On demande à Chat GPT ? »
Vient ensuite un sujet sensible, sur lequel le locataire de Matignon se sait attendu : le budget. C’est là-dessus que son prédécesseur, Michel Barnier, a chuté en décembre. L’homme du jour appelle la représentation nationale à « se ressaisir » face à un risque de « précarité budgétaire ». « À qui la faute ? », demande une députée LFI. « À vous ! », répond l’une de ses collègues LR. Le chaudron de l’Assemblée est chaud bouillant. Les interpellations fusent d’un banc à l’autre. Aucun groupe politique n’y échappe.
Et à la tribune, François Bayrou n’y est pas insensible. Il interrompt parfois son discours pour demander aux députés de faire moins de bruit, ou pour répondre à l’une de leurs injonctions. « Et Parcoursup ? », l’interroge à un moment la députée LFI Marie Mesmeur. « Parcoursup fait partie des sujets que nous devons aborder », lui répond le Premier ministre dans un étonnant exercice de ping-pong.
Au même moment, les journalistes s’inquiètent de la lenteur avec laquelle François Bayrou s’exprime. « Il n’a lu que cinq pages », souffle l’un d’eux à ses voisins, en soufflant. « Il n’existe pas une version abrégée ? On demande à Chat GPT de nous faire ça ? », se marre un autre. Une rumeur traverse les rangs : le discours ferait trente-cinq pages et le Premier ministre n’en aurait lu que cinq. « Vous n’avez rien prévu ce soir ? », persifle un journaliste.
Ruffin et Faure en pleine discussion
Quand arrive le sujet de la réforme des retraites, de nombreux députés relèvent la tête et lâchent leur téléphone portable. « Nous devons répondre à la question des retraites qui continue de tarauder notre pays », entame François Bayrou, avant de promettre « une mission flash » sur le financement des retraites. « Sans totem ni tabou », promet-il. Voilà un gage donné aux socialistes qui, depuis plusieurs jours, négocient avec le gouvernement dans l’espoir d’aboutir à un accord de non-censure.
Mais l’avancée présentée par le chef du gouvernement semble bien maigre. Une mission flash ? Cela provoque les rires très appuyés des Insoumis et des communistes qui, de concert, regardent les bancs socialistes. Aux côtés d’Olivier Faure et de Boris Vallaud, les visages sont crispés, impassibles. « Toutes les pistes méritent d’être explorées », suggère François Bayrou. « Abrogation ! », lui répond tout net la présidente du groupe LFI Mathilde Panot.
Peu après, le député ex-LFI François Ruffin s’approche d’Olivier Faure, lui serre la main et entame une longue discussion. En tribune presse, les spéculations vont bon train. L’ancien reporter essaye-t-il de convaincre le chef des socialistes de voter la censure ? Lui enjoint-il de ne pas s’isoler du reste de la gauche, alors qu’une bonne partie du NFP a fait part de sa volonté de censurer François Bayrou dès le 16 janvier ?
Lors de ces moments cruciaux où l’hémicycle est à cran, il est intéressant de regarder qui applaudit à quel moment… et qui s’y refuse. À la tribune, François Bayrou salue « le courage des femmes afghanes et iraniennes ». Côté Insoumis, Mathilde Panot applaudit à tout rompre et donne une tape à son collègue Éric Coquerel pour qu’il fasse de même. Le président de la commission des Finances s’y pliera quelques secondes plus tard.
Au bout d’une heure de discours, François Bayrou prononce (enfin) les deux mots de « transition écologique ». Ce qui un (bref) soulagement à gauche. « Ah ! », s’enthousiasme Sandrine Rousseau. Une euphorie de courte durée, puisque contrairement à son prédécesseur qui avait parlé de « double dette, budgétaire et écologique », le chef du gouvernement ne consacre que trois minutes à l’enjeu de la lutte contre le changement climatique. Mais parlera bien d’immigration, de sécurité, de travail… Quand il déplore « la présence des illégaux à Mayotte », le Premier ministre se fait reprendre par LFI : « Jean-Marie Le Pen est réincarné ». En face, Marine Le Pen ne réagit pas.
Au bout d’une heure et demie, François Bayrou redescend de la tribune. Il jette un œil à l’assistance. Les députés MoDem, Renaissance et Horizons sont debout. Les autres sont déjà plongés sur X pour étaler tous leurs désaccords. « Bayrou se plante magistralement », tweete Alexis Corbière. « Vide sidéral », fustige Sébastien Chenu (RN). Quel succès !
À voir également sur Le HuffPost :
Comment François Bayrou raconte avoir surmonté son bégaiement, qui l’a rendu « plus attentif aux autres »
Météo en France: la vigilance « grand froid » concerne un tiers de l’hexagone, ce qu’il faut savoir