Les voitures font le plein au milieu des taches d’huile, dans un léger parfum d’essence. Derrière les caisses, les croissants au jambon, incontournables des stations-service ukrainiennes, et en file, devant les machines à café, une ribambelle de treillis militaires : la banalité des escales sur les routes du pays depuis 2022. Sauf que le Humvee (un véhicule militaire tout terrain) qui patiente près des pompes est coiffé d’une grosse cage, comme dans les films Mad Max. Et que, depuis quelques semaines, la station tout entière est prise dans une vaste toile d’araignée blanche, à cinq mètres au-dessus d’elle, scénario que cette fois aucun film n’a imaginé.
Bienvenue à Izioum, nouvelle ville « à filets ». Comme à Kherson, sans cesse survolée par des drones, cette bourgade du nord-est de l’Ukraine, à environ 120 kilomètres au sud de Kharkiv, ne voit plus son ciel qu’à travers un étrange grillage. Ici, plus d’horizon dégagé. En novembre, des civils et des militaires ont été enrôlés pour planter au bord des routes de hauts piquets de bois et tendre des filets de polyéthylène, utilisés d’ordinaire par les agriculteurs et les viticulteurs pour les plantes grimpantes, ou pour protéger les vignes de la grêle ou des oiseaux.
C’est le cas de la route reliant la ville à Sloviansk, où se trouve notre station-service Marshal. Cet axe stratégique et logistique, le seul à approvisionner le front du Donbass, qu’il longe parfois à moins de 20 kilomètres, s’étire désormais sous un tunnel de mailles en plastique, blanches, vertes ou bleu pâle, comme un voile tendu au-dessus de la chaussée. Lorsque la route plonge, puis grimpe, on a parfois l’impression d’un mirage. Mais non : ces moustiquaires géantes sont bien chargées de stopper ces gros oiseaux électroniques, nouveauté de cette guerre où l’arrière n’est nulle part et la menace partout, y compris loin des tranchées.
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