Kylian Mbappé a appelé ce dimanche « tous les jeunes » à aller voter « contre les extrêmes ».
Le capitaine des Bleus venait au soutien de son coéquipier Marcus Thuram, qui avait appelé la veille à faire barrage au RN.
Si ces sorties font autant de bruit, c’est aussi que les prises de position politiques des joueurs français sont rarissimes.
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Élections législatives 2024
« J’espère qu’on sera encore fier de porter ce maillot le 7 [juillet] ». Ce dimanche, en conférence de presse en marge de l’Euro 2024 en Allemagne, Kylian Mbappé est passé outre l’appel à la « neutralité » politique de l’équipe nationale, émis samedi par la Fédération française de football. La FFF s’inquiétait à la suite des déclarations de l’attaquant Marcus Thuram, qui avait explicitement appelé à voter contre l’extrême-droite lors des législatives anticipées prévues les 30 juin et 7 juillet prochain.
Le capitaine des Bleus s’est montré moins explicite dans son appel aux « jeunes à aller voter », en condamnant en bloc « les extrêmes », tout en soutenant son coéquipier. Ce n’est pas la première fois que des Bleus prennent position sur des enjeux politiques du pays, mais de telles prises de parole sont assez rares, voire très marginales.
Rocheteau contre la dictature argentine
Une des sorties les plus notables remonte à 1978, avec la tentative de Dominique Rocheteau de dénoncer la dictature du général Jorge Rafael Videla, au cours du Mondial qui se tenait en Argentine cette année-là. De nombreuses figures de la gauche française, de l’actrice Simone Signoret au philosophe Roland Barthes, appellent alors au boycott de cette compétition. La participation ou non des Bleus est alors un débat de niveau national, et génère manifestations et prises de position. Quelques jours avant le départ pour Buenos Aires, une tentative d’enlèvement du sélectionneur Michel Hidalgo a même eu lieu, organisée par des militants qui dénonçaient la « complicité de la France » avec la junte militaire argentine.
Dominique Rocheteau est âgé de 23 ans. Il est la star du club de Saint-Etienne, alors en pleine gloire, et veut que les Bleus montrent leur solidarité avec les victimes de la dictature argentine, parvenue au pouvoir deux ans plus tôt à la suite d’un coup d’État. Il organise une réunion de ses coéquipiers, à deux jours du match de poule contre l’équipe d’Argentine, épaulé par Bernard-Henri Lévy, rappellait le journal Le Monde à l’occasion du quarantième anniversaire de l’évènement. Mais seuls quatre joueurs répondent à son appel. Les cadres de l’équipe boudent la réunion, à commencer par Michel Platini et Dominique Bathenay, et le projet d’action symbolique avorte. Le soir du 6 juin 1978, Dominique Rocheteau n’arborera finalement pas de brassard noir pendant la rencontre, comme il avait pensé le faire. Les Bleus furent éliminés ce jour-là par l’Argentine, après une première défaite contre l’Italie. L’avant-centre regrettera par la suite « que notre silence ait été perçu comme de l’indifférence » au sort des Argentins.
Monsieur Le Pen ne doit pas savoir qu’il existe des Français blonds ou bruns
Monsieur Le Pen ne doit pas savoir qu’il existe des Français blonds ou bruns
Lilian Thuram en 2006
La figure la plus engagée des Bleus de l’ère moderne est sans conteste Lilian Thuram, pendant sa carrière sportive et après. Lors du Mondial 2006, le père de Marcus Thuram avait répliqué frontalement à un Jean-Marie Le Pen qui fustigeait « la proportion de joueurs de couleur ». « Il a dit qu’il y a trop de joueurs noirs ? », avait-il réagi, « je ne sais pas quoi répondre. Moi, je ne suis pas noir. Monsieur Le Pen ne doit pas savoir qu’il existe des Français blonds ou bruns ».
Dix ans plus tôt, lors de l’Euro 1996, le fondateur du Front national avait déjà insinué que plusieurs joueurs avaient été « l’objet d’une naturalisation de complaisance », rappelle l’Equipe. L’actuel sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, encore joueur, avait répliqué vertement : « Une fois de plus, Le Pen dit n’importe quoi ».
Zidane contre Le Pen en 2002
Entre ces deux saillies, la France « black-blanc-beur » était devenue championne du monde puis d’Europe, et critiquer les Bleus devenait plus délicat pour des politiques en quête de popularité. Car on fait plus parler les joueurs français qu’ils ne le font généralement eux-mêmes. En avril 2002, le taiseux Zinédine Zidane lui-même avait pris position entre les deux tours de l’élection présidentielle, appelant à voter contre Jean-Marie Le Pen, qualifié à la surprise générale cette année-là. Mais le calendrier n’était pas le même, et le Mondial en Corée du Sud était encore loin.
Cette année au contraire, les calendriers parallèles des élections législatives et de l’Euro de football pourraient encore intensifier l’enjeu politique, au fil de la progression des Bleus dans la compétition. Si l’équipe de France est à la hauteur de son statut de favorite, elle pourrait être encore engagée lors du premier et du second tour de scrutin. Le vote du 30 juin interviendra au cours des huitièmes de finale, celui du 7 juillet juste après les quarts. Quant à une éventuelle participation à la finale, elle aurait lieu à Berlin le 14 juillet, jour de la fête nationale française, dans une nouvelle configuration politique dont on ignore encore tout.