samedi, mai 11

Dans un petit livre programmatique publié il y a vingt ans (Pour une anthropologie anarchiste, trad. Karine Peschard, éditions Lux, 2018 pour l’édition française), l’anthropologue David Graeber (1961-2020) observait que « les Etats présentent un caractère double assez particulier », en ce sens qu’« ils sont à la fois des formes institutionnalisées de pillage ou d’extorsion, et des projets utopiques ». Le dossier de l’A69 est celui qui illustre le mieux, ces jours-ci, cette troublante dualité – entre l’Etat stratège soucieux du long terme et de l’intérêt général, et l’Etat pillard qui permet le saccage de l’avenir et des biens communs au bénéfice de quelques-uns.

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L’A69 est ce vieux projet d’autoroute entre Castres (Tarn) et Toulouse (Haute-Garonne), dont le tracé jouxte celui de la route nationale 126. Il est destiné à « désenclaver » la sous-préfecture tarnaise, ce qui peut être objectivé grâce à deux chiffres simples : de vingt à trente minutes gagnées pour relier les deux villes, et une vingtaine d’euros pour l’aller-retour. Pour se désenclaver, un travailleur castrais devra donc débourser chaque mois un peu plus d’un quart du smic.

Le coût écologique du projet, lui, est décrit par d’autres chiffres, rassemblés par l’Autorité environnementale (AE) dans son avis d’octobre 2022. L’A69, donc, c’est une quatre-voies s’étirant sur 53 kilomètres, traversant 32 cours d’eau et 59 écoulements secondaires, 76 habitats naturels hébergeant près de 700 espèces végétales (dont 59 sont patrimoniales) et 114 espèces animales présentant un enjeu réglementaire ou de conservation. Plus de 30 bassins seront nécessaires pour traiter les eaux de ruissellement, et la réduction de l’espace disponible pour les crues est telle, dans la vallée du Girou, sur l’Agout et le Bernazobre, que des décaissements devront être réalisés.

Brutalité contre les opposants

Au total, les impacts sur les milieux naturels consistent, selon l’AE, en 13 rectifications définitives et 9 dérivations provisoires de cours d’eau, 22 hectares de zones humides et 9,65 kilomètres de fossés détruits, 3,43 kilomètres d’alignements d’arbres et plus de 13 hectares de boisements rasés, sans compter la destruction de 75 hectares de milieux naturels ouverts ou semi-ouverts et de 230 hectares de terres agricoles. Un esprit chagrin pourrait noter que l’étendard de la « souveraineté alimentaire », agité avec de hauts cris patriotiques lorsqu’il s’agit de défaire les normes environnementales, a mystérieusement disparu.

Tout cela n’est pas seulement de la beauté et de la nature détruites : c’est l’assurance-vie de tout un territoire face aux bouleversements climatiques à venir qui est ainsi liquidée.

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