C’est un sujet qui défraie la chronique dans les années 1970. Les apparitions d’objets volants non identifiés (ou ovnis) semblent se multiplier à une vitesse alarmante. Il suffit de parcourir les gros titres pour s’en convaincre: «Des ovnis dans le ciel de Perpignan»; «Traces mystérieuses dans un pré du Jura»; «Tulle: des ovnis aperçus par des écoliers». Relayés par les médias, ces témoignages enflamment les imaginations. S’agit-il d’avions espions soviétiques? De bombardiers d’un nouveau genre? De créatures venues d’ailleurs?
Pour faire la lumière sur les phénomènes étranges auxquels ils sont confrontés, des Français et des Françaises ordinaires investissent les plateaux de télévision, se regroupent en associations d’ufologues amateurs, publient leurs témoignages dans des livres. Quelques années après l’alunissage d’Apollo 11 (le 21 juillet 1969), le monde a encore la tête dans les étoiles.
En parallèle, la culture du secret qui pèse sur la Guerre froide entretient un climat de méfiance vis-à-vis des institutions établies. Peut-être pour tempérer l’effusion médiatique, l’État français intervient officiellement le 1er mai 1977 en fondant le Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés, ou Gepan (aujourd’hui Geipan avec «d’informations» ajouté au nom), placé sous la supervision du Centre national d’études spatiales (CNES). Sa mission: collecter et analyser les phénomènes aérospatiaux non identifiés (ou PAN). Une première mondiale.
La France à l’initiative
Si les ovnis ne font plus aujourd’hui partie des priorités nationales, ils intéressent à l’époque les plus hautes instances du pays. En février 1974, le ministre des Armées Robert Galley concède qu’il «faut adopter vis-à-vis de ces phénomènes une attitude d’esprit extrêmement ouverte», interrogé par Jean-Claude Bourret dans l’émission «Pas de panique» sur France Inter.
«C’était la vision du ministère de la Défense qu’il fallait avoir une parole officielle, souligne Frédéric Courtade, directeur du Geipan depuis janvier 2024. Cette proposition trouva un écho favorable auprès du président du CNES, qui donna une caution scientifique à l’organisation.» Dans cet esprit de rigueur, on préfère parler de PAN plutôt que d’ovnis. «Dans le langage courant, on a fini par associer le terme aux petits hommes verts, sourit Frédéric Courtade. Or, il n’y a pas que les extraterrestres derrière les ovnis.»
Basé à Toulouse, le Gepan entend dès sa création adopter une démarche rigoureuse, s’entourant d’un comité scientifique avec des experts de tous horizons –notamment Hubert Curien, le père du projet de la fusée Ariane– et de partenaires locaux comme la gendarmerie nationale, l’aviation civile, l’armée de l’air et les services de Météo-France. Sans oublier de nombreux enquêteurs bénévoles qui se rendent sur les lieux, prennent des photographies, effectuent des prélèvements, interrogent les témoins…
Une fois les indices rassemblés, les cas traités sont classés en quatre catégories allant de A à D: A pour les cas expliqués par des preuves scientifiques, D pour ceux qui demeurent inexpliqués. «Les cas D étaient les plus dignes d’intérêt, car ce sont ceux qui présentent le plus fort degré d’étrangeté», indique Frédéric Courtade.
3% de cas sans réponse
À l’époque, les cas D concernaient environ 15 à 20% des dossiers traités par le Gepan. Depuis lors, sa méthodologie s’est affinée et professionnalisée. Grâce à la collaboration des psychologues du CNRS et de l’université de Toulouse, elle s’est enrichie d’une dimension psychosociale qui vise à repérer les biais cognitifs qui conduiraient les témoins à une narration erronée de leurs souvenirs. Son comité d’experts, composé de sommités du monde aérospatial, mais aussi de psychologues et de sociologues, se réunit deux à trois fois par an pour échanger sur les cas inexpliqués. «Aujourd’hui, nous avons encore 102 cas non identifiés, soit un peu plus de 3% de l’ensemble», chiffre Frédéric Courtade.
Un enquêteur du Sepra (successeur du Gepan, ancêtre du Geipan) à Brix, dans la Manche, dans l’affaire du «trou normand», découvert en octobre 1989 et qui concernait une portion de terre mystérieusement brûlée. L’incendie, ont conclu les enquêteurs, a été causé par du kérosène largué par un avion, puis enflammé sur une ligne à haute tension. | © Centre national d’études spatiales / CNES, 1989.
Bien entendu, il reste dans les archives de l’organisation quelques dossiers déroutants. La rencontre de Cussac (en 1967, dans le Cantal) ou l’affaire de Trans-en-Provence (en 1981, dans le Var) alimentent encore, de nos jours, les conversations et les conférences ufologiques à travers le monde.
Les phénomènes qui semblent transcender les règles élémentaires de la physique –vitesses hypersoniques, volatilisation soudaine d’objets, déplacements sans bruit ou traces radar– sont ceux qui intriguent le plus les chercheurs… N’en déplaise aux ufologues amateurs, toutefois, la plupart des «anomalies» trouvent généralement une explication rationnelle: désintégration de débris spatiaux, illusions d’optique, passage d’un satellite ou lanterne asiatique égarée…
En 1988, le Gepan est remplacé par le Service d’expertise des phénomènes de rentrée atmosphérique (Sepra). Puis en 2005, le Geipan prend le relais, ajoutant donc à son acronyme originel la lettre «I» pour affirmer sa mission d’information et de sensibilisation. Cependant, son caractère officiel lui vaut régulièrement la méfiance du grand public.
«Comme le travail de l’État est beaucoup dénigré, le Geipan en fait aussi les frais», soupire Frédéric Courtade. Pour éviter qu’on lui reproche son opacité, la structure a décidé en 2008 de rendre publiques ses enquêtes –préalablement anonymisées– sur son site web. Un succès inattendu. «En quelques heures, le site a crashé devant le nombre de connexions», s’exclame le directeur du Geipan. Aujourd’hui, l’organisme français dédié reçoit environ 800 signalements par an.











