Professeure en civilisation américaine à l’université Lumière-Lyon-II, Agnès Delahaye publie Aventuriers, pèlerins, puritains. Les mythes fondateurs de l’Amérique (Passés composés, 272 pages, 21 euros). Dans un entretien au Monde, elle retrace l’histoire du projet colonial anglais en Amérique, en particulier l’épopée des Pères pèlerins, un groupe de calvinistes empêchés par la couronne anglaise de pratiquer librement leur culte et qui virent dans la colonisation l’occasion de repartir de zéro. Ceux que l’on qualifiait à l’époque, de manière péjorative, de « puritains », sont aujourd’hui largement considérés comme les Pères fondateurs des Etats-Unis et imprègnent encore fortement la culture et la politique.
En quoi les guerres de religion, au XVIe siècle, ont-elles joué un rôle central dans le développement du projet colonial anglais ?
Agnès Delahaye : A l’époque où l’Angleterre décide d’entrer dans la course aux colonies, l’Espagne catholique domine l’Atlantique depuis plus d’un siècle. L’argumentaire colonial anglais, qui se développe dans les années 1580, va se positionner contre une certaine « légende noire » de la conquête espagnole. Le livre La Colonie espagnole, du missionnaire dominicain Bartolomé de las Casas (1484-1566), joue un rôle-clé. Le texte, racontant comment les soldats bafouent leur devoir de chrétien, est publié en anglais en 1583. A sa suite, plusieurs récits anglais vont circuler sur la violence des conquistadors catholiques envers les Amérindiens.
Dans le Discours sur l’implantation à l’Ouest (1584), le chapelain et géographe cosmographe anglais Richard Hakluyt (1552-1616) inscrit ainsi la colonisation anglaise dans une compétition directe avec l’empire catholique espagnol. Hakluyt estime que la reine Elisabeth Ire (1533-1603) incarne la « vraie religion » et qu’il faut aller en Amérique avec un modèle de colonisation alternatif.
En Angleterre, la religion officielle – que l’on n’appelle pas encore « anglicanisme » – est un compromis entre le culte protestant et le rite catholique, sous l’autorité de la Couronne. Néanmoins, dans les argumentaires coloniaux, l’opposition fondamentale est bien celle entre catholiques et protestants. Pour Hakluyt, le protestantisme, bienveillant et probant, ne manquera pas de convaincre les indigènes américains. Son texte suggère aussi d’envoyer dans les colonies tous les non-conformistes, ces protestants qui refusent l’autorité de la reine. Ainsi, on fera d’une pierre deux coups.
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