Anthropologue de la santé, Aurélien Troisoeufs prend la direction du laboratoire de recherche en santé mentale – sciences humaines et sociales du groupement hospitalier universitaire (GHU) Paris psychiatrie et neurosciences. Cette équipe de neuf personnes y mène des travaux notamment sur les figures de la pair-aidance, le recours à des personnes ayant l’expérience de la maladie mentale et formées, et sur les enjeux de voisinage des personnes souffrant de troubles psychiques.
Vous avez toujours exercé votre métier d’anthropologue dans le domaine de la santé mentale. Comment êtes-vous venu à la psychiatrie ?
J’avais 17 ans, je sortais à peine de l’adolescence. Je me suis toujours senti très libre dans mon éducation et j’avais envie d’expérimenter l’enfermement. J’avais deux pistes : la prison ou l’hôpital psy. Et je suis arrivé en psychiatrie comme agent des services hospitaliers (ASH). J’ai découvert un milieu où je me suis toujours senti très à l’aise. Je faisais deux heures de ménage et après, hop, j’étais directement avec les patients. Ils me faisaient réviser mes cours. J’ai rencontré une telle diversité de personnes, une telle richesse ! Toutes les émotions sont démultipliées. Vous avez de la créativité, vous avez bien sûr des gens en souffrance, mais certains sont pleins de joie, parfois peut-être trop. J’y ai vécu des choses incroyables. Ces premières expériences me portent encore aujourd’hui. C’est ma madeleine de Proust.
Vous avez ensuite continué à faire le ménage à l’hôpital, pour vos observations d’anthropologie…
Oui. C’est ce que l’on appelle en sociologie le « sale boulot ». Mais c’est l’entrée pour l’invisibilité de tout ce qu’on fait en tant qu’anthropologue. On dit souvent que l’ASH est juste après le patient dans l’organisation hiérarchique. Quand je fais le ménage, je ne fais peur à personne. Pas aux soignants, parce que je ne suis pas censé avoir un jugement sur leur travail, et pas aux patients. Je n’ai pas découvert la psychiatrie dans les livres. C’est aussi une ASH qui m’a appris ce que c’était. Elle n’avait aucune connaissance théorique, mais vingt-cinq ans de psychiatrie derrière elle. Elle me présentait les gens à sa manière. Sans forcément leur diagnostic. Elle a affecté mon approche de l’anthropologie, qui s’est centrée sur les relations, sur ce que les gens se disent et font. A chaque fois, j’entre par le patient, mais c’est pour aller interroger aussi les relations avec les professionnels de santé.
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