Au Mozambique, la tension est encore montée d’un cran après la confirmation par le Conseil constitutionnel, lundi 23 décembre, de la victoire de Daniel Chapo, le candidat du Front de libération du Mozambique (Frelimo, au pouvoir), à l’élection présidentielle du 9 octobre. Depuis le vote, entaché de fraudes selon des observateurs nationaux et internationaux (dont ceux de l’Union européenne), la répression des manifestations a déjà fait plus de 250 morts, dont 125 dans les trois jours qui ont suivi la proclamation officielle des résultats, selon l’ONG locale Plataforma Decide. Le principal opposant, Venancio Mondlane, revendique toujours la victoire et appelle à un « soulèvement populaire ».
Eric Morier-Genoud, professeur d’histoire de l’Afrique à l’université Queen’s de Belfast, en Irlande, et spécialiste du Mozambique, analyse les enjeux de cette crise postélectorale.
Plus de 1 500 détenus se sont évadés mercredi d’une prison de Maputo, selon la police. Cet événement rend-il la crise encore un peu plus inextricable ?
Il faut d’abord rester prudent sur les faits. Le chef de la police a déclaré que 1 534 détenus, dont une dizaine d’islamistes, avaient été libérés par des manifestants. Mais c’est un homme du parti et il l’a rappelé en affirmant le slogan du Frelimo à la fin de son intervention. La ministre de la justice, chargée des prisons, a de son côté expliqué que les prisonniers avaient organisé une mutinerie et en avaient profité pour s’évader. Il y a donc deux versions des faits.
Il n’empêche que les Mozambicains sont inquiets, car personne n’entrevoit une résolution facile de la crise politique. Aucun chemin ne se dessine. Au Mozambique, les troubles électoraux se sont transformés en contestation du régime. Tout le pays est affecté, ainsi que l’ensemble des classes sociales.
L’annonce de la victoire du Frelimo par le Conseil constitutionnel, lundi, a jeté de l’huile sur le feu. Les gens attendaient que cette instance propose plusieurs solutions. Cela pouvait être l’annulation pure et simple des élections et l’organisation d’un nouveau scrutin, ou l’ouverture de négociations entre le Frelimo et l’opposition. Une solution intermédiaire aurait été de revoir les résultats de manière assez significative pour donner plus de pouvoir à l’opposition.
Mais en donnant au Frelimo tous les sièges de gouverneurs de province [171 députés sur 250] et une majorité au Parlement en plus de la présidence, le Conseil constitutionnel a accru la tension. Le parti historique risque de concentrer tous les pouvoirs et même de changer la Constitution s’il le souhaite.
Que réclame l’opposition incarnée par Venancio Mondlane, le leader du parti Podemos ?
Son slogan est « la vérité électorale » et il revendique la victoire. C’est évidemment problématique, car les élections ont été tellement truquées qu’on ne saura jamais la vérité. Parmi les solutions proposées, l’éventail va de l’organisation de nouvelles élections à la réalisation d’un audit sur le dernier scrutin, en passant par la formation d’un gouvernement d’union nationale. Le problème est que le parti au pouvoir reste campé sur ses positions et que rien ne bouge depuis trois mois alors que la situation sociale est en train de pourrir.
Cette crise intervient dans un contexte où les Mozambicains subissent déjà une situation économique difficile…
La croissance est correcte [4,3 % en 2024, selon les prévisions du Fonds monétaire international]. Elle est soutenue par l’exportation de matières premières, notamment du gaz, mais elle n’est pas inclusive, car la population n’en profite pas. Le fond du problème est que depuis une dizaine d’années, les Mozambicains sont de plus en plus pauvres. Ils sont épuisés par leurs conditions de vie et, maintenant qu’ils protestent, le gouvernement les traite de « vandales ».
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Cette crise économique frappe toutes les classes sociales. On a vu des commerçants indo-pakistanais et même des banquiers, des professeurs ou des médecins sortir pour manifester. L’exaspération est générale, c’est du jamais-vu. Les manifestations ont gagné tout le pays, y compris des endroits inattendus comme l’extrême nord.
Dans ce contexte, quelle est la marge de manœuvre du Frelimo ?
Il lui reste la négociation et la répression. L’inquiétude serait l’instauration d’un état de siège, mais il semble que les forces de sécurité soient aussi mécontentes. L’armée veut rester neutre et a fait savoir qu’elle allait défendre la nation et non des intérêts politiques, ce qui est nouveau. Quant à la police, elle est divisée. On a vu des policiers se joindre aux manifestants pour participer à des pillages de magasin.
Quel est l’effet de cette crise sur les investissements internationaux, en particulier dans le secteur gazier ?
La société italienne Eni, qui a la seule plateforme pétrolière offshore, continue de produire. Mais celle-ci est située en haute mer, à 34 km des côtes. Le mégaprojet de TotalEnergies devait reprendre en début d’année 2025, mais la multinationale a fait savoir que ce serait finalement au cours du second semestre. ExxonMobil devrait en faire autant. Les entreprises minières sont également inquiètes, puisque l’une d’elles vient de fermer temporairement. Cette crise postélectorale a donc un impact direct sur la production, car la circulation ne se fait plus à travers le pays du fait des barrages.
Comment réagissent les pays voisins, notamment l’Afrique du Sud, partenaire commercial important du Mozambique ?
Le gouvernement sud-africain a fermement condamné la situation et demandé de façon véhémente le début de négociations, sans se positionner d’un côté ou de l’autre. L’Afrique du Sud est très inquiète car une partie de ses minerais sont exportés par le port très moderne de Maputo. Mais ses camions sont bloqués aux barrages et parfois même brûlés. Les Sud-Africains ont demandé en début de semaine aux autorités mozambicaines que leurs milliers de camions soient escortés par la police. Dans la province de Zambézie, où une partie des rails du chemin de fer ont été démontés par les manifestants, des colonnes militaires viennent ainsi d’être créées pour les protéger.