Les religions gagneraient à parler de mode, assure le théologien Alberto Fabio Ambrosio, codirecteur au Collège des Bernardins du séminaire « Ecologie de la mode : vers de nouvelles vertus », et auteur de Mode et Religion. Habiller le sacré, sacraliser le look (Hermann, 2024) et de Théologie de la mode. Dieu trois fois tailleur (Hermann, 2021). Alors que s’ouvre la Paris Fashion Week (23 septembre-1er octobre), ce religieux dominicain appelle, dans un entretien au Monde, les cultes à inventer une « nouvelle pudeur », non plus en contrôlant ce que couvrent ou non nos vêtements sur nos corps, mais en s’engageant contre « l’injustice esthétiquo-économique et environnementale » que suscite l’industrie de la mode.
La mode n’est-elle pas un sujet futile pour un théologien habitué à discourir sur Dieu ?
La mode est un phénomène social, économique, politique et esthétique incontournable pour comprendre les sociétés contemporaines. Il suffit de regarder les chiffres de l’industrie du textile [1 530 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans le monde en 2022] pour comprendre à quel point la mode est un phénomène qui fait vivre la société. En tant que théologien, je travaille sur des phénomènes sociaux globalisants, totalisants, c’est-à-dire qui concernent tant l’individu que la collectivité. Or, c’est le cas de la mode comme de la religion.
Les deux peuvent réenchanter une existence : des individus trouvent du sens à leur vie à travers l’expérience esthétique et culturelle vécue grâce au vêtement. L’habillement et la mode sont deux éléments fondamentaux du langage en société. Chaque individu se définit par le vêtement qu’il porte – l’habit fait le moine. Or, si je me laisse porter par le langage des marques, par les icônes de la mode, si acheter de nouveaux produits me procure du plaisir ou un sentiment de bien-être et si j’attends les nouvelles tendances comme des oracles, alors la mode se profile comme un système de sens. La mode donne des lignes à suivre, fait se sentir bien, voire donne du bonheur et sème, en ce sens, des grains de salut.
Il s’agit aussi d’une industrie polluante, notamment à travers la fast-fashion, qui incite à l’achat régulier et au gaspillage. Quel regard portez-vous sur ce phénomène mondial ?
Les vêtements de la fast-fashion incitent effectivement à consommer et favorisent l’exploitation de la planète et de ressources humaines à bas coût. Mais il ne faut pas mésestimer l’impact de la haute couture et du luxe. Ce sont ces dernières qui font les tendances et entretiennent une forme de tension esthétique, faite de changements continuels. La fast-fashion est une réponse populaire à ce phénomène.
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