« Arrête ! C’est ici l’empire de la mort. » Gravé en lettres capitales sur un linteau à l’entrée des catacombes de Paris, quelque part sous le 14e arrondissement, cet alexandrin tiré de L’Enéide, de Virgile, dans sa version française sert d’avertissement aux visiteurs. Mais il n’a pas du tout arrêté les chercheurs qui, depuis 2023, s’enfoncent à raison d’une session annuelle de deux semaines dans cet inframonde obscur et froid, quasi plutonien, labyrinthe fait de murailles d’ossements où l’on déambule en priant pour que demeure allumée la loupiote qui guide nos pas. Menés par Philippe Charlier, directeur du laboratoire Anthropologie, archéologie, biologie (université Paris-Saclay), ces scientifiques veulent faire parler les restes humains qui, mieux que personne, pourraient nous renseigner sur l’état sanitaire des Parisiens de jadis.
Remontons tout d’abord le temps de deux siècles et demi en suivant la maîtresse des lieux, Isabelle Knafou, administratrice des catacombes de Paris. Nous sommes sous Louis XVI et une convergence d’événements effrayants a lieu dans le Paris d’alors. Tout d’abord, le sol s’ouvre sous des rues et des immeubles construits au-dessus de carrières souterraines exploitées depuis des siècles. Rive gauche, une grande partie du sous-sol est un véritable gruyère. En 1777, le roi crée donc l’inspection générale des carrières – qui existe toujours – afin de cartographier cet univers souterrain et de consolider ce qui doit l’être.
Premières idées hygiénistes
Décrit par Isabelle Knafou, le second événement se produit « en 1780, le cimetière des Innocents, situé dans le quartier des Halles, un cimetière gigantesque, craque : des cadavres en décomposition se répandent dans les caves environnantes ». L’horreur. A un moment où naissent les premières idées hygiénistes, il apparaît urgent de vider les cimetières. C’est ce qu’Isabelle Knafou nomme « la grande transhumance » : « La décision est prise en 1785 et, durant quinze mois, la nuit, avec un accompagnement liturgique, d’énormes tombereaux tirés par des bœufs vont déplacer les ossements des cimetières parisiens. »
Pour les mettre où ? Précisément dans les anciennes carrières, à la sortie sud de Paris, laquelle se trouve, à l’époque, au niveau de l’actuelle place Denfert-Rochereau. Les os sont déversés par des puits et se fracassent 20 mètres plus bas. Au cours du XIXe siècle, notamment lors des travaux haussmanniens, d’autres « vagues » d’ossements s’échouent dans ce qui devient les catacombes.
Au fond, des ouvriers carriers disposent ces restes le long des cavités en formant des murs nommés « hagues », composés de deux parties. Dans la partie antérieure, épaisse d’environ 50 centimètres, celle que voient les visiteurs, des os longs (fémurs, tibias, humérus) sont savamment et minutieusement rangés, montés comme des murs de pierres sèches et alternant avec des couches de crânes. A l’inverse, la partie postérieure, à l’abri des regards, peut s’enfoncer sur plusieurs mètres, et c’est un « vrac » indescriptible d’ossements plus petits ou bien cassés.
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