« J’ai encore du mal à aller jusqu’au bout de la vidéo tellement elle est violente ! » Cette confidence, la danseuse Koharu Yamamoto, 20 ans, de l’Opéra national de Paris, la livre du fond du cœur. Mais de quoi parle-t-elle ? De Barbe-Bleue, chef-d’œuvre d’horreur créé en 1977 par la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009), qui entre au répertoire de l’institution parisienne. En revanche, en répétition mercredi 12 juin, la jeune femme trace une voie impérieuse dans ce récit atroce d’amour et de curiosité. « Regarder mes collègues m’aide beaucoup », glisse-t-elle. Et elle fonce à grands cris stridents qui font dresser le poil.
Koharu Yamamoto n’imaginait pas une seconde interpréter cette pièce maîtresse de la scène contemporaine. Elle pensait, non sans plaisir, finir la saison dans Le Lac des cygnes. Sauf que le hasard en a décidé autrement. Il y a un an, elle croise dans les couloirs du Palais Garnier José Martinez, directeur de la danse, qui lui suggère de passer l’audition organisée par la Fondation Pina Bausch. « J’y suis allée tranquille, je me suis amusée avec mes amis à faire les choses bizarres qu’on nous demandait comme rigoler, pleurer… », poursuit-elle. Et non seulement elle a été retenue parmi les quarante-cinq interprètes, mais elle a été élue pour le rôle de Judith au côté de l’étoile Léonore Baulac et de Charlotte Ranson. Adieu Le Lac, bienvenue au château, avec ses sept portes et sa clé pleine de sang indélébile !
La terreur, l’effroi, générés par le conte de Perrault, sont ici amplifiés par la musique de l’opéra composé en 1911 par Bela Bartok (1881-1945) et le regard implacable de Pina Bausch. Dès notre arrivée dans le studio, les voix en allemand sont griffées par des hurlements, des miaulements hystériques, des halètements. Calme et aux aguets, Beatrice Libonati, figure de la compagnie Pina Bausch, qui a dansé Barbe-Bleue avec son mari, l’inoubliable Jan Minarik (1945-2022), supervise la transmission. Parallèlement aux visionnages des captations, elle indique les intentions des mouvements. Son conseil : « Il ne faut pas jouer, il faut être et vivre avec ce que chacun a traversé dans sa vie. »
Accroché à un magnétophone à bandes, le danseur Takeru Coste (Barbe-Bleue), hypnotisant dans son pardessus, lance la musique, la stoppe brutalement, rembobine furieusement et ça repart. Des femmes l’entourent et se frottent en lui caressant le visage. Comme on repique à un désir méchant, il enclenche le son et tend la main vers Léonore Baulac (Judith), qui révèle ici une facette tragédienne sidérante.
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