Faire cohabiter dans une même exposition Turner et Constable, c’est un peu comme vouloir marier une carpe et un lapin (les Anglais diraient « chalk and cheese », « de la craie et du fromage »). C’est pourtant ce que tente la Tate Britain de Londres, en plus de 180 tableaux, dessins, aquarelles et objets (essentiellement du matériel de peintre), avec brio. La commissaire, Amy Concannon, ne s’est pas contentée de puiser dans le fonds considérable des Turner que le critique John Ruskin (1819-1900), son exécuteur testamentaire, a confié à la Tate : elle est allée convaincre des institutions, mais aussi des collectionneurs privés, qu’il était de leur devoir de participer à cet événement, car c’en est un. C’est ainsi, par exemple, que The Rising Squall, Hot Wells, from St Vincent’s Rock, Bristol, peint par Turner lorsqu’il avait 17 ans et qui fut un des premiers tableaux qu’il exposa, en 1793, est montré au public pour la première fois depuis 1858 !
Ce n’est pas anodin, tant l’œuvre témoigne de la manière dont Turner va utiliser la peinture à l’huile, en couches fines et par transparence et glacis, un peu comme s’il s’agissait d’une aquarelle, sa première pratique. Constable, au contraire, va jouer des effets de matières, utiliser au besoin le couteau à palette, fragmenter sa touche, produire ce que les Anglais de l’époque considèrent comme une peinture « rude », pas « léchée », pas « finie ». Ses contemporains, et en particulier les critiques, le lui reprocheront abondamment, et n’auront de cesse de susciter une rivalité entre les deux artistes. Fabrication médiatique ? Oui et non, répond l’exposition.
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