Le corps arrive mais la tombe n’est pas encore prête. Les fossoyeurs creusent comme des diables pour achever leur ouvrage. Déjà le cortège s’approche, slalomant entre les sépultures qui s’étendent à perte de vue, espacées de quelques centimètres. Les funérailles n’ont pas lieu dans l’enceinte du cimetière Ahmed-Sharfi, mais hors ses murs. A l’intérieur de cette nécropole nichée au cœur d’Omdourman, la ville qui jouxte Khartoum, il n’y a plus de place. Dix-huit mois de guerre ont rempli les cimetières de la capitale du Soudan et de ses banlieues. Les inhumations se font désormais le long de la paroi de pierre, sur un terrain vague où les jeunes du quartier venaient jouer au football.
Aux alentours de 15 h 30, jeudi 24 octobre, Mohammed Adam, un menuisier de 65 ans, a été démembré par un tir de mortier. L’obus est tombé dans la cour de sa maison alors qu’il se reposait, allongé sur un lit. Sa fille, Imane, était en train de lui apporter le café quand le préau a été soufflé. De la poussière dans les yeux, la jeune femme et son voisin, Oussama, ont ramassé les morceaux. Deux heures plus tard, sa dépouille mortelle emballée dans un linceul cheminait vers son dernier asile, portée par une poignée d’hommes dont les sandales s’enfonçaient dans la terre encore fraîche des tombes avoisinantes.
Pas d’oraison funèbre. Juste la duaa, la prière, dite par le superviseur des lieux, Abdeen Dirma, un colosse à la voix caverneuse. « Ces jours-ci, on enterre de plus en plus de morts à cause de l’artillerie », constate-t-il sobrement.
Le mois d’octobre a été l’un des plus meurtriers pour les civils soudanais depuis le début de la guerre, en avril 2023, entre les forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, et les milices paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), menées par le général Mohammed Hamdan Daglo, alias « Hemetti ». A Khartoum, les paramilitaires pilonnent les zones contrôlées par l’armée régulière. Chaque jour, des munitions tombent à l’aveugle sur des habitations, des terrains de football et des écoles peuplées de personnes déplacées par les combats. En face, l’aviation des FAS accentue ses bombardements sur les positions ennemies, causant des dizaines de morts parmi les civils.
En quatre semaines, plus de 700 d’entre eux ont été tués, selon les estimations du Monde, alors que les batailles se sont intensifiées sur de multiples fronts à travers le pays. Si les Nations unies continuent de faire état d’un bilan avoisinant les 20 000 morts, il n’existe au Soudan aucune statistique fiable. La guerre pourrait avoir fait plus de 150 000 victimes civiles dans les bombardements, les massacres, et en comptant les morts de faim et de maladies.
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