Que des scientifiques, de surcroît physiciens, fassent des expériences n’a rien d’étonnant. Qu’ils veuillent les faire sur eux-mêmes, un peu plus. Et qu’ils souhaitent entraîner leurs collègues avec eux, plus encore. A Grenoble, à l’Institut Néel, spécialisé dans l’étude des propriétés de matériaux (magnétisme, électronique…), un petit groupe de chercheurs a bien l’intention, dans quelques semaines, de se lancer dans une expérience originale. Oser la décroissance volontaire pour « chercher mieux, tout en dépensant moins ». Ils veulent proposer à leurs établissements de tutelle, le CNRS et l’université Grenoble-Alpes, de leur accorder, pendant quatre ou cinq ans, un budget de fonctionnement qui diminuerait de 10 % chaque année (hors salaire, bien sûr), sans nuire à la qualité de leur travail.
Ils viennent de recevoir du CNRS, à la suite d’un appel d’offres sur la « transition environnementale », une aide de quelques milliers d’euros pour organiser, en septembre, deux jours d’atelier destinés à réfléchir aux modalités de cette expérience unique. « Nous visons la sobriété plutôt que la décroissance », explique Philippe-Emmanuel Roche, physicien du CNRS à l’Institut Néel et l’un des cinq chercheurs et ingénieurs à l’origine du projet.
Le constat n’est pas nouveau. Les chartes et guides environnementaux qui existent, les petits gestes ou même le transport en train plutôt qu’en avion ne réduiront pas suffisamment l’empreinte carbone pour baisser d’environ 50 % les émissions d’ici à 2030, comme beaucoup d’Etats s’y sont engagés après l’accord de Paris sur le climat, en 2015. Il faut s’attaquer au gros morceau des « achats », c’est-à-dire les équipements, les fluides (gaz, liquides…), les consommables divers, les ordinateurs… A l’échelle du CNRS, cette catégorie compte pour près des trois quarts de l’empreinte. A l’Institut Néel, pour plus de la moitié. « C’est difficile. Toucher aux achats, c’est toucher au cœur de notre métier, souligne M. Roche. Mais, si on veut avoir de l’impact, il faut des changements forts. »
Effets pervers du mode de financement
D’où la proposition iconoclaste de réduction programmée des dépenses (à partir d’un montant calculé sur les budgets antérieurs), qui prend pour hypothèse la forte corrélation entre celles-ci et les effets sur l’environnement. En contrepartie, ces chercheurs, qui espèrent rassembler, au début, plusieurs dizaines de collègues volontaires – sur les quelque quatre cent cinquante de l’institut –, disent à leurs tutelles de ne plus les soumettre à des appels d’offres, mode de financement majoritaire des laboratoires. C’est là le côté un peu subversif de l’idée : respecter les règles, pour finir par changer les pratiques… et démontrer qu’une autre recherche est possible.
Il vous reste 37.57% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.