« Cinq minutes après avoir récupéré leur certificat de naissance, on m’a établi leur certificat de décès. » Le 13 août, Muhammad Abou Al-Qoumsan, 33 ans, avait à peine quitté l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa, où il venait de déclarer ses jumeaux à l’état civil, quand il a reçu un appel téléphonique lui demandant de rebrousser chemin. Sur place, il découvre les corps de ses deux enfants, un garçon et une fille, Ayssal et Asser, nés trois jours plus tôt, tués dans le bombardement de leur immeuble du quartier de Deir Al-Balah, qui abrite une partie des quelque deux millions de Gazaouis déplacés par la guerre. « Je les ai retrouvés dans une chambre froide, à la morgue », témoignait-il en larmes, filmé d’un couloir de l’hôpital.
Ayssal et Asser Abou Al-Qoumsan, numéros d’identité 470333964 et 470333980, font partie des 710 enfants âgés de moins de 1 an morts à Gaza depuis le début de la guerre, parmi une liste de 34 344 habitants du territoire qui ont perdu la vie sous les bombardements et ont été identifiés par le ministère local de la santé au 31 août ; 7 613 personnes, déclarées mortes à leur arrivée aux urgences, n’ont à ce jour toujours pas été identifiées.
A la page 215, le premier adulte
Publié le 16 septembre, le document égrène, sur 649 pages, la liste des morts, classés par âge, leur numéro national d’identité, leur genre, et la date de leur naissance. De Noura Walid Abdelsalam Shahine, « 0 an », née le 1er janvier 2023, à Ahmad Ibrahim Al-Tahraoui, « 101 ans », né le 1er janvier 1922. Il souligne le lourd tribut payé par les moins de 18 ans : 11 355 morts identifiés. Il faut ainsi parcourir 115 pages avant que n’apparaisse l’identité du premier enfant âgé de 10 ans ; le premier adulte, une jeune fille de 18 ans, n’apparaît qu’à la page 215. En mars, Philippe Lazzarini, le patron de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), s’alarmait du nombre de morts chez les plus jeunes, qu’il qualifiait de « vertigineux » : « Le nombre d’enfants présumés tués en seulement quatre mois à Gaza est plus élevé que le nombre d’enfants tués en quatre ans dans l’ensemble des conflits à travers le monde. Cette guerre est une guerre contre les enfants, dénonçait M. Lazzarini. C’est une guerre contre leur enfance et leur avenir. »
Si la liste publiée par le ministère de la santé le 16 septembre ne distingue pas la part des civils et de combattants, les moins de 18 ans, de 60 ans et plus, et les victimes de sexe féminin représentent plus de 60 % des morts.
Depuis le début de la guerre, les bilans du ministère de la santé de la bande de Gaza sont régulièrement remis en cause par les autorités israéliennes, qui accusent le Hamas de manipuler, voire de gonfler les chiffres. La seule source qui établit les bilans est le ministère de la santé dans le territoire palestinien, placé de facto sous la tutelle du mouvement islamiste, qui administre l’enclave depuis 2007. L’Autorité palestinienne, basée à Ramallah, en revendique aussi la paternité et la véracité lors de bulletins publiés quotidiennement. Elle verse les salaires des fonctionnaires qui compilent ces données à Gaza, et assure les contrôler. Le 15 août, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, avait revendiqué la mort de « plus de 17 000 terroristes » dans la bande de Gaza. Sans plus de précisions. L’armée n’a pas répondu aux sollicitations du Monde. En mai, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, annonçait pour sa part « la mort de 14 000 terroristes et de probablement 16 000 civils ».
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