Muhammed Bhar aimait le calme, la musique et riait lorsqu’on lui caressait les cheveux. A 24 ans, il sortait peu de la maison familiale de Chadjaya, un faubourg oriental de la ville de Gaza, où sa mère, sa fratrie, ses neveux et ses nièces prenaient soin de lui. La famille avait choisi de demeurer dans la ville, durant les invasions successives qu’y a menées l’armée israélienne depuis novembre 2023. En partie parce que Muhammed était trisomique, qu’il se déplaçait avec difficulté et avait peur des foules.
De nombreux Gazaouis ayant la charge d’un parent handicapé, âgé ou malade ont fait de même. Ils font partie des quelque 300 000 personnes qui sont restées dans la cité, largement détruite et coupée du monde, en dépit des ordres d’évacuation de l’armée. La famille Bhar, cependant, a dû fuir les bombardements à de multiples reprises et chercher refuge temporairement dans d’autres secteurs de la ville, comme Rimal et Touffah, emportant Muhammed à chaque fois un peu plus apeuré.
A la fin juin, lorsque l’armée s’est déployée pour la seconde fois dans leur quartier de Chadjaya, dix-sept membres de la famille, dont Muhammed, se sont trouvés bloqués durant une semaine dans leur maison par les bombardements et les tirs, tout proches. Le 3 juillet, en début d’après-midi, les soldats ont fini par entrer chez eux, pour fouiller la maison. La procédure est standard : ils ont percé un mur à l’arrière du bâtiment et y ont fait rentrer un chien de combat, muni d’une caméra.
Le chien a attaqué Muhammed. Il l’a mordu à l’épaule et au torse, l’a traîné dans tous les sens. « Pendant qu’il le mordait, Muhammed caressait le chien. Il lui disait doucement : “Va-t’en mon chéri, va-t’en.” C’étaient les mêmes mots qu’il utilisait quand il jouait avec ses neveux et ses nièces », raconte sa mère, Nabila, jointe par téléphone. Depuis le début de la guerre, l’armée interdit au Monde comme à toute la presse internationale d’accéder à Gaza.
« Pas de nouvelles » des frères
Muhammed est un garçon en surpoids, absolument sans défense. « Il avait un cœur tout blanc et pur. Il avait 24 ans, mais le cerveau d’un enfant. Je faisais tout pour lui, je lui donnais son bain, je le nourrissais. il dépendait de moi pour tout », raconte cette ancienne institutrice, âgée de 70 ans, d’une école maternelle de l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA). Face aux soldats, elle a crié : « Laissez-le ! Il est malade, il est trisomique ! Mais ils ne m’ont pas écoutée. Ils ont laissé le chien le traîner dans la maison », se souvient-elle. L’épisode dure plusieurs minutes, jusqu’à quinze, selon Nabila Bhar.
Il vous reste 58.11% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.