De ses yeux aveugles, recouverts d’un voile blanc, le vieil homme ne peut voir le comité d’accueil qui l’acclame en héros. Il a un sourire béat, les mains levées vers le ciel. Ses pieds ne touchent pas le sol au moment de franchir la frontière jordano-syrienne. Porté par une foule en liesse, le cheikh Ahmad Al-Sayasna est rentré chez lui, jeudi 26 décembre, dans le gouvernorat de Deraa, après treize ans d’exil en Jordanie, puis au Qatar. Imam de la mosquée Al-Omari, épicentre du soulèvement, en 2011, contre le régime de Bachar Al-Assad, il avait été le héraut des premières manifestations dans cette ville pieuse du sud du pays, connue pour être le berceau de la révolution.
Le convoi l’entraîne vers cette mosquée emblématique du vieux Deraa, là où tout a commencé. Encadré par deux combattants rebelles, kalachnikov en main, le religieux pénètre dans la cour sous l’antique minaret endommagé à deux reprises par les bombardements du régime et deux fois reconstruit par les insurgés. « C’est le retour de nos oiseaux migrateurs », observe Adnan Al-Massalma, un avocat des droits humains, avant d’ajouter : « Le cheikh Ahmad est un symbole éclatant. Sa voix a été essentielle. Il prônait la paix, dénonçait le sectarisme et appelait à descendre dans les rues sans affronter les forces de l’ordre. »
C’était le 18 mars 2011. Le premier « vendredi de la colère » à la mosquée Al-Omari. A l’heure de la prière, la ville de Deraa était la première à se soulever contre le régime. Quelques jours plus tôt, une quinzaine d’adolescents avaient tracé « liberté » sur les murs d’une école, puis une phrase devenue célèbre, « Jay alek eddor ya doctor » (« Ton tour arrive, docteur »). Un affront enfantin visant Bachar Al-Assad, ophtalmologue de formation, à qui ces jeunes souhaitaient le même sort que ses homologues tunisien et égyptien, Zine El-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak, destitués en janvier et en février.
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