Il s’agissait, jusque-là, d’un voyage scolaire comme un autre : les élèves de la 3e 5 du collège Romain-Rolland de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) filmaient les environs de Cracovie par la vitre du bus avec leurs smartphones, partageaient des friandises et se chamaillaient. Et puis, d’un seul coup, quelque chose les a saisis. Un murmure glacé, comme un souffle, a fait taire les conversations. Dehors, sur la droite, ils venaient de voir apparaître, dans le matin brumeux, la silhouette tristement célèbre du mirador de Birkenau. « C’est immense », a chuchoté Nazim.
Ce voyage d’étude à Cracovie et à Auschwitz-Birkenau, organisé à la fin février par le Mémorial de la Shoah en partenariat avec le département de la Seine-Saint-Denis, est le premier séjour proposé par le conseil départemental à des collégiens, dans l’objectif de les sensibiliser à la mémoire du génocide et de prévenir l’antisémitisme. D’habitude, ce sont plutôt les lycées qui envoient leurs élèves. Les programmes scolaires prévoient l’étude de la Shoah à trois reprises : en CM2, en 3e, puis en 1re générale et technologique – de manière facultative au lycée professionnel.
La veille du départ, dans une salle de classe de ce collège classé REP +, personne ne pipe mot, à part Nazim, particulièrement intéressé par le sujet – ses professeurs admettront ensuite, un peu ennuyés, qu’il s’est rué sur les films La Liste de Schindler (1993), de Steven Spielberg, et Le Pianiste (2002), de Roman Polanski, seul à la maison. « Il va falloir que je le calme un peu, ce sont des images difficiles pour un jeune de son âge, souffle Carole Couderc, l’enseignante d’histoire qui a mené le projet. Comme on n’est pas là pour débriefer avec lui, ça peut être compliqué. »
La plupart des élèves ont du mal à se projeter dans ce qu’ils vont voir. Leur enseignante prend le relais, en évoquant avec eux les lieux de mémoire locaux qu’ils ont déjà visités, comme le Mémorial de Drancy. En rapprochant, aussi, le génocide des juifs d’autres événements où la haine de l’autre a mené au pire : le programme d’histoire de 3e prévoit d’étudier les « guerres d’anéantissement » au sens large.
Double logique
Voilà précisément ce qui va se jouer pendant ces deux jours de visite : la rencontre presque inespérée entre un groupe d’enfants, tous issus de l’immigration, et la mémoire d’une Europe que leurs grands-parents n’ont pas connue puisqu’ils sont, dans leur écrasante majorité, originaires d’anciennes colonies françaises, comme l’Algérie ou le Sénégal.
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