A ses quelques amis en France, Kirill Griaznov, 40 ans, s’est toujours présenté comme chef cuisinier, formé au Cordon bleu, une école de cuisine parisienne. Il pouvait lui arriver de mentionner son passage dans une émission de télé-réalité russe, une sorte de « Top Chef » qui lui a permis d’acquérir une petite notoriété chez lui, en Russie. Plusieurs photos et quelques vidéos Instagram, où il est suivi par un peu plus de dix mille personnes, détaillent ses recettes de pancakes ou de tartiflette. Il a aussi été la vedette d’une émission russe type « Le Bachelor », dans laquelle six femmes tentaient de le séduire.
Kirill Griaznov n’a jamais mentionné à ses amis français son ancienne carrière dans la finance comme associé d’un fonds d’investissement russe, ni son passage dans un cabinet de fusions-acquisitions, au Luxembourg. Encore moins ses missions pour le compte du service fédéral de sécurité (FSB), les services de renseignement intérieur russes.
Le 21 juillet, Kirill Griaznov est arrêté dans son appartement de la rue Saint-Denis. Selon le parquet de Paris, la perquisition a permis aux enquêteurs de mettre la main sur du « matériel diplomatique », sans préciser la nature de ce dernier. Deux jours plus tard, Kirill Griaznov est placé en détention provisoire et mis en examen pour « intelligence avec une puissance étrangère en vue de susciter les hostilités en France », un crime passible de trente ans de réclusion.
Kirill Griaznov a été repéré par plusieurs services de renseignement européens à partir de mai 2024. Le 8, en Turquie, l’autoproclamé « chef cuisinier privé » doit prendre un avion reliant Istanbul à Paris. Sauf que l’agent du FSB a trop bu. Interdit de monter à bord, il se rabat sur un autre vol, qui part de Bulgarie. Sur le chemin, dans un restaurant, le quadragénaire appelle au téléphone son supérieur des services de renseignement intérieur russes. Dans la discussion, l’homme lâche, deux mois avant le début des Jeux olympiques (JO) de Paris, que « les Français vont avoir une cérémonie d’ouverture comme il n’y en a jamais eu ».
Une série de documents exclusifs, obtenus par Le Monde, Der Spiegel et Insider, permettent de retracer précisément le parcours de cet agent jusqu’en France et éclairent les liens serrés qu’il entretient de longue date avec le renseignement russe.
Dès la fin des années 2000, dans sa correspondance, à laquelle Le Monde a pu avoir accès, le jeune avocat de formation reçoit des mails lui demandant de « vérifier » le profil de certains officiers de renseignement russes. En 2009, il reçoit sur sa boîte mail des CV, dont celui d’Andreï Beliachov, un vétéran de la guerre de Tchétchénie, major de l’armée russe. Des messages qui tranchent avec son emploi officiel dans un cabinet luxembourgeois. Le jeune homme, alors la vingtaine, se vante de ces quelques mails confidentiels auprès d’un de ses supérieurs du cabinet d’avocats.
Il vous reste 56.03% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.