Grosses lunettes et barbe fournie qui lui mangent le visage, chemise aux motifs océaniens, Emmanuel Tjibaou a le verbe aussi décontracté que l’allure. A 47 ans, le fils de Jean-Marie Tjibaou, qui ne s’était jusqu’ici jamais laissé séduire par les sirènes de la politique, malgré de nombreux appels du pied, s’est lancé à corps perdu, il y a trois semaines, dans la course aux législatives dans la 2e circonscription de Nouvelle-Calédonie. Le voilà propulsé à l’Assemblée nationale avec 57 % des suffrages, quarante-trois ans après l’élection du dernier indépendantiste à y avoir siégé, Rock Pidjot.
Simple militant encarté à la section de base de l’Union calédonienne (UC) de sa tribu de Tiendanite, ce père de quatre enfants, directeur de la culture de la province Nord de la Nouvelle-Calédonie, s’est laissé convaincre par une candidature qui se voulait rassembleuse : « Il est le candidat des indépendantistes et nationalistes, pas du FLNKS [Front de libération nationale kanak et socialiste] ou de l’UC », répète inlassablement son équipe de campagne.
C’est pourtant bien l’UC qui a pris l’initiative de présenter des candidats au lendemain du fiasco du congrès du FLNKS prévu à Netchaot, dans le Nord, le 15 juin, qui a vu le rassemblement indépendantiste dans l’impossibilité de se réunir et donc de se mettre d’accord sur des candidatures.
Enfant des « événements »
A l’heure où la Nouvelle-Calédonie est dans la tourmente et les partis indépendantistes traditionnels mis au défi par l’émancipation de la cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), à l’origine de la mobilisation contre la réforme du corps électoral qui a dégénéré en émeutes à partir du 13 mai, Emmanuel Tjibaou n’est comptable d’aucun bilan, et son nom de famille permet de replacer le combat indépendantiste actuel dans la droite ligne de celui des années 1980.
La même stratégie a été appliquée dans l’autre circonscription calédonienne, où Omayra Naisseline, belle-fille de Nidoïsh Naisseline, fondateur d’un des premiers mouvements indépendantistes, Les Foulards rouges, a été chargée, sans le même succès, de défendre les couleurs indépendantistes. Elle a perdu au second tour face au député sortant de la circonscription voisine, le loyaliste Nicolas Metzdorf, élu avec 52,4 % des voix.
Emmanuel Tjibaou rappelle à l’envie qu’il est un enfant des « événements » des années 1980 : « C’est pour ça que je me suis engagé, parce que ça me fait mal de revoir aujourd’hui les mêmes images, explique-t-il. On a effectué un retour en arrière, en occultant le fait que pendant trente ans, on a construit la paix. » La guerre civile, Emmanuel Tjibaou en a payé le prix fort, lui qui a appris, à l’âge de 13 ans, en 1989, la mort de son père « à la télévision », comme il le raconte dans le documentaire Au nom du père, du fils et des esprits (2017).
Il vous reste 40.03% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.