Aussi fort que le trac avant de monter sur scène : l’angoisse qui accompagne le lancement d’un premier recueil de poésie. Ces jours-ci, la chanteuse-compositrice et écrivaine Clara Ysé a un peu tremblé à l’idée que ses textes franchissent le seuil de son intimité pour atteindre le grand public. Et pour cause : jamais, jusqu’à un passé récent, elle n’avait envisagé de publier les poèmes qu’elle écrit depuis ses 10 ans, nous confie-t-elle, la veille de la sortie de Vivante, à la terrasse ensoleillée d’un café du canal Saint-Martin, à Paris.
« C’est mon éditrice en musique, Mélissa Phulpin, à qui j’adressais parfois des textes, qui m’a convaincue d’en faire un livre. Cela me faisait peur car je suis très obsessionnelle : je retravaille beaucoup mes textes et mes arrangements. C’était différent avec ma poésie, qui n’a pas vocation à être lue. Ce sont des jets que je réécris peu », explique celle dont on compare souvent la voix à celle de Barbara ou de Catherine Ringer.
Autrice d’un EP autoproduit (Le monde s’est dédoublé) en 2019, écrit au lendemain de la mort accidentelle de sa mère (la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle) et suivi d’un premier album (Oceano Nox) en 2023, unanimement loué par la critique, la trentenaire a déjà montré un aperçu de ses talents littéraires dans un premier roman (Mise à feu, Grasset, 2021), conte teinté de réalisme magique, mettant en scène un frère et une sœur après la disparition de leur mère à la suite d’un incendie, sous les auspices d’une pie protectrice.
Le partage d’un imaginaire
Vivante, qui rassemble plus de quatre-vingts poèmes, est une œuvre d’une grande beauté, qui parle de désir, de mélancolie, du fait de « rester du côté de la vie », mais aussi d’une forme de renaissance, après la déchirure et la plongée vers les abîmes. Elle est dotée d’une cohérence telle qu’on l’imaginerait écrite d’un trait, selon une structure pensée a priori. Mais il n’en est rien. Clara Ysé a puisé dans l’abondante production réalisée entre ses 20 ans et ses 31 ans, sélectionné les textes qui lui paraissaient les plus aboutis, et les a assemblés selon « la ligne organique de son chemin à travers l’écriture ». Elle a aussi opéré un travail d’épure, ramenant à des aphorismes certains poèmes de plusieurs pages. « J’ai retrouvé des textes dans des carnets, des notes de téléphone. J’écris partout : dans le métro, les cafés, chez moi… », raconte cette jeune femme à la voix douce et au regard brun pénétrant. C’est que, pour elle, la poésie n’a rien à voir avec un divertissement. Mais est une façon de « respirer plus fort et plus large », qui l’accompagne de façon quotidienne.
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